III

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Cat. Vous savez, ce démon, celui dont on entend le plus souvent parler, celui que beaucoup de gens utilisent comme prétexte pour se faire remarquer. Ce démon qui, à cause de ces gens, n'est pas souvent pris au sérieux. Pour moi, comme pour d'autres personnes se cachant par honte, ce démon est bien réel. Pour moi, Cat est indissociable d'Ana, ainsi que de Deb.

Les démons m'accompagnaient chaque jour, à n'importe quel moment. Parfois, ils étaient tous là, d'autres fois, ils se relayaient. Qu'importe, ils étaient toujours présents.

Dès lors que le diagnostic fut tombé, j'ai eu un contrat à respecter. Je ne devais pas descendre en dessous des 42 kilos, dans quel cas je devrais avoir recours à une hospitalisation. Ce chantage de psy ne m'avait pas plu, bien évidemment. Alors, comme n'importe quel anorexique n'ayant pas prévu de se laisser faire, je trichais. Ma mère devait me peser tous les mardis soirs, et j'avais ensuite rendez-vous avec le psy tous les mercredis après-midi. Toutes les semaines, après le mardi soir, je maigrissais, en essayant d'atteindre le poids le plus bas possible. Pour la pesée, je reprenais du poids, mais pas trop, et je comblais le reste avec de l'eau ou des boissons peu caloriques. J'ai continué comme ça un moment, puis est venu le jour où je n'ai plus voulu reprendre le poids perdu. Avant la pesée, je buvais alors beaucoup d'eau, jusqu'à avoir un mal de ventre terrible.

Céline - la première dont je vous ai parlé - était au courant, elle savait pour tout. J'avais en elle une confiance que je n'avais plus eue en quelqu'un depuis bien longtemps. Ça lui faisait de la peine, elle avait peur pour moi. Seulement, j'étais tellement préoccupée par mon poids que je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite. Elle était si mal pour moi qu'elle s'est sentie obligée d'en parler. Elle en a alors parlé avec Louane et l'autre Céline. Si vous saviez à quel point je regrette aujourd'hui...

Peu de temps après, les trois filles étaient allées prévenir l'infirmière de l'établissement. Je ne leur en veux pas. Elles ne voulaient que mon bien. Enfin, deux d'entre elles, au moins.

J'angoissais toujours autant lorsqu'il fallait aller au lycée. J'étais dans le même état qu'avant la rencontre du psy. De plus, les premiers examens communs approchaient à grand pas. La fin approchait à grand pas. Et j'ai appris que, dans le bureau de l'infirmière, deux des trois filles avaient pleuré. Mon dieu, mais qu'avais-je fait ? Je n'ai jamais voulu faire souffrir les personnes qui m'entourent, et c'est pourtant la seule chose pour laquelle je suis douée... Tout ce que je souhaitais, c'était me sentir bien dans mon corps, bien dans ma peau, bien dans ma tête.

Ça y est, la semaine des examens était arrivée. Le premier examen avait lieu le mercredi 2 mai. Il s'agissait de la SVT. Je n'avais pas révisé. Je n'avais rien fait. J'avais juste contrôlé mon poids. Chaque classe se situait dans une salle différente, mais nous avions tous le même sujet.

Le professeur chargé de surveiller la première heure a distribué les copies. J'ai dû lire les questions et les synthèses à rédiger plusieurs fois pour enfin les comprendre, ce qui m'a mise en retard par rapport aux autres élèves. Je parvenais à me débrouiller avec mes souvenirs, ça se déroulait plutôt bien, jusqu'au moment où Cat fit son apparition surprise.

J'ai voulu être raisonnable, mais c'était trop fort, un peu comme une pulsion. Je me suis cachée de la vue du professeur, j'ai vérifié que personne ne voyait ce que j'allais faire, puis j'ai attrapé les ciseaux et j'ai commencé à me couper. Je repassais au même endroit. Ça ne saignait pas beaucoup, mais assez pour que le professeur l'aperçoive en se retournant. Il m'a regardée d'un air étrange, un mélange d'incompréhension et d'étonnement. La pulsion était encore là. Quand il s'est dirigé vers sa table à l'entrée de la salle, j'ai recommencé. Puis il est venu prendre mes ciseaux. Je l'ai vu taper un message sur son téléphone, et quelques minutes plus tard, la CPE et une assistante scolaire sont arrivées pour me faire sortir.

Tout s'est ensuite passé très vite. Je me suis retrouvée dans le bureau de la CPE, et avec l'assistante scolaire, elle m'a demandé pourquoi j'avais agi de cette manière en plein examen, au milieu des autres élèves. Comment expliquer la voix de ces démons dans ma tête ? On m'aurait prise pour une folle. Les deux savaient que je ne mangeais plus, ou presque plus. L'infirmière n'a pas mis longtemps à prévenir tout le personnel du lycée. Alors je leur ai dit que je n'en pouvais plus de cette vie-là, et que cette maladie me pourrissait la vie parce que je me trouvais toujours grosse. Je ne pleurais pas. J'étais neutre, vide, encore. Elles m'ont parlé d'hospitalisation, ce que j'ai catégoriquement refusé, surtout qu'elles ne comprenaient rien. Elles voulaient que je retourne dans l'hôpital que je connais déjà, un hôpital général.

Ma mère est arrivée en pleurs. Elle avait été appelée, ce qui est normal. Nous sommes rentrées, et je ne suis plus retournée au lycée jusqu'au vendredi 25 mai.

Entre temps, je parlais toujours avec les deux Céline et Louane. Mais un jour, le vendredi 16 mai, alors que nous devions nous appeler avec Céline - celle qui me faisait rire, la première que j'ai évoquée -, elle n'a jamais répondu.


Ananyme.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant