IV

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Elle n'a jamais répondu. Céline, celle qui avait le pouvoir de me dessiner les quelques vrais sourires qu'il me restait à offrir sur le visage, Céline n'a jamais répondu. Ce jour-là, j'étais loin de me douter de la réalité. Je pensais qu'elle avait simplement oublié notre rendez-vous téléphonique, puisque je savais qu'elle était rarement sur son téléphone. Or, peu de temps après, j'ai appris la vérité. L'infirmière avait imposé aux trois filles de ne plus avoir de contact avec moi. Leurs parents ont été avertis.

Je n'avais pas réalisé sur le coup. Ce n'est que quelques jours plus tard que je me suis mise à me questionner, à pleurer, à chercher à comprendre. Pourquoi l'infirmière avait-elle agi de la sorte ? Pourquoi m'avait-elle retiré tout ce qui me permettait de tenir au lycée ? Avait-elle pensé que mes problèmes étaient transmissibles ? Ou tout simplement que j'étais contagieuse ?

Puis d'autres questions me venaient à l'esprit. Je pris conscience du mal que je leur avais fait. Pourquoi étais-je si horrible ? Pourquoi n'avais-je pas été capable de tout garder pour moi ? Pourquoi fallait-il que je fasse du mal au gens, alors la seule personne que je détestais, c'était moi ? Après tout, peut-être que je méritais tout ça ?

Louane continuait malgré l'avis de l'infirmière à me parler, mais je me sentais gênée. Ce n'était plus pareil. Non pas que l'on se parlait beaucoup avant, mais mes efforts pour me sociabiliser avaient été détruits. Elle ne m'adressait la parole que pour me demander un banal "salut, ça va ?". Une phrase de tous les jours qui sortait de sa bouche, de telle façon que l'on ne pouvait déterminer si elle me le demandait sincèrement ou non.

Le jour de mon retour au lycée, il ne restait que trois semaines avant la fin des cours. Bien sûr, il y avait toujours Mely. Mais Mely ne comprenait pas la gravité des choses. Elle était au courant pour mes scarifications, mais sa seule réaction avait été de me dire qu'elle allait m'amener un cutter. Si elle savait à ce moment-là l'ironie tragique qu'il y avait dans ses propos... Mely était toujours là, mais les deux Céline, et en particulier celle dont je vous ai le plus souvent parlé, n'étaient plus là, et Louane l'était de manière superficielle. Céline n'était plus là. Elle ne me regardait même plus, ou quand elle le faisait, je n'arrivais pas à percevoir ce qu'il y avait dans son regard. Était-ce de la peine ? De la colère pour tout ce qu'elle subissait à cause de moi ? De la pitié pour mon état qui ne s'arrangeait pas ? Ou tout simplement de l'indifférence par rapport à moi ?... Je ne m'étais jamais sentie aussi seule.

À partir du moment où elle ne me parlait plus, j'ai presque arrêté complétement de manger. Mes marques devenaient plus profondes. Le vide qui résidait en moi se prononçait. Les vacances d'été sont arrivées. Je ne me sentais pas mieux. Pourtant, avant, j'adorais cette période de l'année, et je l'attendais avec impatience. Mais là, rien. Je pensais seulement au fait que je ne verrais plus Céline pendant plus de deux mois, et qu'elle ne m'enverrait pas de message non plus. J'avais un fond d'espoir, un très faible espoir de recevoir quelque chose de sa part, même si je savais pertinemment que ça ne serait pas le cas.

Le mercredi 13 juin au soir, le dernier jour de mon année de seconde, il s'est passé quelque chose. Quelque chose qui allait détruire ma famille, même si je l'ignorais encore. Céline, celle dont j'étais la moins proche, a répondu à mon souhait pour elle de passer de bonnes vacances. Elle me l'a souhaité également, puis m'a demandé si j'avais reçu la lettre. Je ne savais pas de quoi elle parlait. Elle ne m'en a pas dit plus, et ce fût la dernière fois que je reçus un message de sa part. Mon père n'était pas encore rentré, alors j'ai demandé à ma mère si on avait reçu, par hasard, une lettre. La lettre. Peu de temps après, ma mère a appelé mon père. Il y eut raccrochages, rappels, cris. Ils se disputaient. Mon père avait bu. Puis j'ai appris qu'en effet, nous avions reçu une lettre qui m'était adressée, mais que mes parents ne voulaient pas me la faire lire, par peur que ça me fasse sombrer davantage. Ils me l'ont donnée après que je l'ai demandée, puis je l'ai lue, dans le bruit des disputes incessantes de mes parents au téléphone.

Rien dans cette lettre ne m'a choquée. Je savais déjà tout ce qu'elle contenait. Il y avait simplement plus de détails à l'intérieur. Dans sa lettre, Céline - celle qui m'a informée sans le vouloir de l'existence de cette lettre - me disait pourquoi elle et l'autre Céline ne me parlaient plus. Elle m'expliquait ma propre descente aux enfers, comment je perdais peu à peu mon sourire, tout. Mais je le savais déjà.

En attendant, pendant les vacances, mes parents ne cessaient de se disputer. Ma mère pleurait tous les jours, mon père criait. Je me doutais que c'était la fin de leur relation. Une relation qui a duré 23 ans, et qui s'achevait par ma faute. Si je n'étais pas tombée malade, si je n'en avais jamais parlé, si cette lettre n'avait pas existé, rien de tout ça ne serait arrivé. En effet, mes parents se sont séparés quelques semaines après. En fait, la séparation a duré pendant la totalité des vacances, jusqu'à ce que nous trouvions un endroit avec ma mère et mes soeurs - parce que oui, j'ai deux petites soeurs - pour nous installer. Nous sommes toutes les quatre parties le 19 août, quelques semaines avant ma rentrée en première.

Ananyme.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant