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J'avoue que, pendant les vacances, la séparation me servait d'excuse pour ne pas manger. En réalité, elle ne me faisait rien. Non, la séparation ne faisait naître en moi aucune émotion, qu'elle soit négative ou positive. En revanche, la perte de Céline me faisait atrocement souffrir à l'intérieur... et au moment où j'écris ceci, rien n'a changé à ce sujet. Pendant ces vacances, j'avais atteint le poids de 39 kilos, pour 1,60 mètre. J'étais contente, mais ce n'était toujours pas assez. Malheureusement pour moi, il m'a fallu faire remonter ce nombre pour éviter l'hospitalisation, une de mes plus grandes peurs...

Au bout des quelques semaines restantes après notre déménagement, la rentrée en première était là. L'idée simple de devoir remettre les pieds au lycée après ce qu'il s'était passé m'angoissait, à en faire des cauchemars. Dans ma tête, elle était sombre, cette rentrée. Elle me paraissait comme quelque chose de surnaturel prêt à m'étouffer.

Je rentrais en première littéraire. J'étais la dernière arrivée dans la salle, après m'être trompée de classe. Nous étions huit. Trois garçons et cinq filles. Céline - celle à laquelle je tenais le plus - était en première économique et sociale ainsi que Louane, et l'autre Céline était en première ST2S. Mely avait quitté le lycée pour suivre une filière spéciale. En m'asseyant derrière les autres ce jour-là, j'ignorais que cette année serait différente pour moi.

En effet, ça ne s'est pas si mal passé que je l'imaginais. Je me suis rapidement intégrée, je parvenais à rire avec eux, tout allait à peu près bien. Il faut dire que le faible nombre d'élèves constituants la classe m'aidait beaucoup. Ce n'était pas la même chose lorsque nous étions en cours communs avec les ES. J'étais plus angoissée, surtout avec Céline. Sa présence me gênait. Je ne me sentais pas à ma place lorsqu'elle était là. J'étais triste aussi, parce qu'en la voyant, je ne pouvais que me souvenir que jamais plus on ne se parlerait.

Malgré la bonne ambiance globale qui régnait au lycée, la maladie était toujours là, ainsi que les autres démons. En fait, je pense que mon sourire en classe n'était qu'un masque, quelque chose d'irréel, puisque ce sourire, je ne l'avais qu'au lycée, et au fond il me faisait mal. Le manque de Céline me torturait. Je ne pouvais pas l'oublier. Je ne voulais pas l'oublier. Dès que je passais la porte de l'établissement pour aller prendre le bus et rentrer chez moi, le sourire que je portais se métamorphosait en des larmes douloureuses qui ne daignaient sortir. Les larmes qui me brûlaient à l'intérieur me noyaient. Je n'arrivais plus à pleurer, et c'était pourtant tout ce que je voulais faire. Pleurer.

Le sang commença alors à remplacer mes larmes. Chaque jour, les coupures que je m'infligeais pleuraient de ce liquide rouge un peu plus que le précédent. La vue du sang s'écoulant de mon bras me calmait. Les coupures évacuaient ma peine, dissimulaient les brûlures des larmes, qui ne disparaissaient jamais entièrement.

Je continuais ma vie comme ça. Je continuais à manger le moins possible, à reprendre le moins possible de poids, à tricher le plus possible, à saigner le plus possible, à mentir le plus possible, à me cacher le plus possible. C'est comme ça que j'ai atteint le poids de 38.2 kilos. Je l'ai atteint deux fois, entre deux légères reprises de poids. Puis Céline, en septembre 2018, a remis la machine émotionnelle de mon corps en route. Elle a refait couler mes larmes, le jour où elle a définitivement coupé les ponts avec moi.

En effet, je voulais lui reparler. J'y réfléchissais depuis des semaines. Puis je me suis lancée un vendredi. Je lui ai demandé si l'on pourrait se reparler un jour. Lorsque sa réponse négative est sortie de sa bouche, je me suis sentie vide, d'un coup. Je sentais le vent léger qui effleurait ma peau, j'ai levé la tête au ciel. C'était comme si le vent me volait la douleur que je ressentais. J'ai marché, ou à moitié couru, jusqu'aux toilettes de la ville. Avant même d'avoir pu les atteindre, les larmes sont sorties comme enragées d'être restées si longtemps enfermées. Les larmes que je n'ai pas voulu laisser couler devant Céline, pour lui montrer une dernière fois que j'étais forte. Mais je me sentais faible, je me sentais comme la pire chose au monde, une fille horrible qui avait tout fichu en l'air et qui ne méritait pas de vivre. Quelqu'un qui devait disparaître. Je n'étais pas forte, j'étais morte.

Quand la porte des toilettes s'est fermée, les larmes ne s'arrêtaient plus. J'ai tout de même pris mes ciseaux, et j'ai saigné, encore plus que d'habitude. Puis j'ai attrapé une boîte de Doliprane que j'avais acheté peu de temps avant, et j'ai avalé plusieurs des pilules se trouvant dans le petit carton. Peut-être trois, peut-être quatre. Je voulais faire disparaître cette douleur terrible. Je ne voulais plus rien ressentir. Et ça a fonctionné. J'étais dans les vapes, mes larmes ne coulaient plus, le sang non plus. J'étais épuisée, je pensais que j'allais tomber.

Ananyme.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant