I | l u c i u s

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J'AIMAIS À PENSER QUE NOTRE COUPLE DURERAIT LONGTEMPS. Quand nous passions du temps avec des amis, notre caractère fusionnel les frappait, et ils nous demandaient souvent depuis combien de temps nous sortions ensemble. La réponse -deux semaines à peine- les surprenait toujours. Moi-même je me retrouvais à imaginer recroiser une de ses ex, quelques années plus tard, et lui lancer un regard torve plein de malice, mon bras noué à celui de Lucius.

Je n'arrivais pas bien à sentir comment cela se présentait pour lui. Étais-je réellement plus spéciale à ses yeux que toutes les autres, ou alors ses paroles n'étaient que de pâles copiés-collés de tant d'autres déclarations ? Il faisait toujours en sorte de laisser un grand flou sur ses sentiments à mon égard, et ce voile de mystère ne m'attirait que plus vers lui.

Les jaloux diraient de moi que je suis une Madame Bovary des temps modernes : attirée par des histoires d'amours que j'avais lues et relues dans les livres, fantasmant des garçons mystérieux, parfois doux comme violents. Je ne savais s'ils avaient raison ou tort, et je m'en moquais. Je ne connaissais rien à l'amour, et c'était bien mieux ainsi. J'aimais, c'est tout. Le tort de ces gens était de vouloir mettre des mots et des explications sur ce qu'il se passait, au lieu d'y mettre des émotions.

Un SMS d'Hélianthe vint éclater ma bulle de pensées. Je lui répondis en un instant, sans hésitation. Au même moment, Lucius débarqua dans la salle à manger, habillé d'un boxer. Il avait de terribles cernes sous les yeux et ses cheveux étaient dans une bataille abominable.

- Salut Cha', dit-il dans un gigantesque bâillement. Bien dormi ?

- Yes, et toi ? dis-je en continuant de tapoter mon écran.

- Tranquille. Tu fais quoi ? poursuivit-il en me voyant répondre à toute allure.

- Hélianthe me propose de la retrouver au café demain, après les cours. Du coup tu seras...Seul...Tel un chevalier solitaire...

- Je vais pleurer, répondit-il blasé.

Je souris, et lui proposai du café. Lucius buvait du café noir. Le café noir m'avait toujours semblé être un exhausteur de virilité. C'était si amer, ce n'était plus du café, ce n'était plus buvable. C'était être surhumain, que de boire son café noir.

- Il faudra que tu me la présentes un jour, quand même, ta meilleure amie, poursuivit-il de ce même air solennel.

- Hélianthe ? Oh, je ne pense pas que vous vous entendrez...ricanai-je. Vous avez trop de confiance en vous, vous pourriez pas en placer une, ce serait terrible.

- Tu exagères, rétorqua-t-il avec un sourire en coin.

Il s'assit sur une chaise de bar à côté de moi et m'attrapa pour me mettre sur ses genoux, manquant de nous renverser tous les deux. Je ne put réprimer un hoquet de surprise :

- Putain Lucius, quel con ! criai-je.

Il explosa de rire, et se mit à me faire des chatouilles, ce qui fit redoubler mes hurlements d'intensité, mêlés à mon hilarité. Puis il me saisit comme une princesse et me jeta sur le canapé. Je riais encore, quand je vis que, profitant de la distraction, il s'était saisi de mon téléphone sur la table à manger, qui n'avait pas eu le temps de se mettre en veille. Encore en euphorie, j'essayai de lui sauter dessus pour récupérer mon appareil par tous les moyens. Mes actions étaient vaines, il était bien trop grand, et la minute qui suivit, il me tendit ma messagerie, assez fier de lui. Je lus avec stupeur qu'il avait envoyé un nouveau message à Hélianthe :

"Au fait ! Ça te dit je ramène mon copain ? Vous ferez connaissance !"

J'allais le tuer.

La réponse d'Hélianthe ne se fit pas attendre. À ma grande surprise, elle avait l'air ravie. Elle me proposait un café modeste dans la rue longeant l'université, le lendemain après les cours. Nous n'avions plus vraiment l'occasion de nous voir depuis que nous avions quitté le lycée, et ces moments que je passais seule avec elle me faisaient beaucoup de bien. C'était une des raisons pour laquelle j'avais été un peu réticente à l'idée que Lucius se glisse dans notre rendez-vous. Hélianthe, c'était en quelque sorte mon jardin secret.

Mais le mal était fait, et ce n'était pas tant une mauvaise chose. J'arriverais à donner un peu de matière à la conversation, tout se passerait bien.

Lucius portait son café à ses lèvres pour en dégager la fumée doucement, encore bien fier de son tour, tandis que je le fustigeais du regard. Les poils couvrant son torse fin, il avait un air à la fois viril et poète. Sa peau était encore mâte de ses vacances à la mer, et il avait de longs cils bordant deux yeux profonds. Il n'avait de barbe que des poils devant les oreilles, que ses cheveux bouclés cachaient légèrement.

Lucius était beau. J'orbitais autour de lui. Je voulais être entièrement à lui. Je voulais pouvoir me dissoudre complètement dans son corps. Et malgré ma hargne pour le message de ce matin, je le dévorais du regard.

Le lendemain en cours, je me languissais de lui. Je prenais nonchalamment des notes de ce que la vieille prof d'Histoire des médias nous racontait, tout en m'attardant sur les habits qu'elle portait, et dont les plis auraient mérité une ample description. J'avais la tête pleine des soucis que l'administration posait avec mon dossier, et pas vraiment concentrée sur l'entreprise Coca Cola. Je pensais au rendez-vous de ce soir, entre ma meilleure amie et mon copain. Ça allait être une catastrophe, mais au moins, j'étais résignée.

le Photographe (et sa muse)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant