cyclone

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Pour être honnête,  je n'ai jamais cru à l'âme sœur. Penser qu'une compatibilité amoureuse peut-être parfaite entre deux individus me paraît inconcevable, complètement irrationnel.
Cela viente peut être du fait que je n'ai jamais cru en dieu. Il m'est impossible d'expliquer pourquoi, ou de vous donner des arguments détaillés qui défendraient mon opinion. Je n'en ai pas. Je n'y crois pas, c'est tout. Je vois déjà ce que vous vous dites, j'entends déjà les mots qui se bataillent dans votre tête: "Tu n'est qu'une putain d'agnostique". Oui, peut être, je ne sais pas.
En revanche, ce que je sais c'est que la naïveté de certains peut leur faire faire n'importe quoi, leur faire devenir n'importe qui. Un bruit sourd me sort immédiatement de mes pensées.

-Agathe, est-ce que tu m'écoutes ?

Mon regard se tourne immédiatement vers mon interlocutrice, un air d'incompréhension sur mon visage et des sourcils froncés trahissant mon manque de concentration et d'attention. La plaque posée sur le bureau et ayant pour écrit "Mme Pouillac" m'est d'une énorme aide à me souvenir du lieu où je me trouve. Le bureau de la proviseure n'est pas très grand. Je suis assise sur une chaise au ton plutôt moderne positionnée au milieu de la pièce exactement et entourée par des murs au papier peint à petit pois. Pas top, je pense. Son regard insistant me laisse penser qu'elle attend une réponse.

-Oui, bien sur. Je dis sans grande conviction, la question paraissant flou dans ma tête.

Je lui lance un sourire peu convainquant, mais qui je l'espère, rattrapera mon manque de tact.
Un soupir sort d'entre ses lèvres, et je comprends que j'ai échoué.

-Tu ne fais vraiment aucun effort!

Je suis assez d'accord. Je sors néanmoins la carte de la gentillesse, je n'ai pas l'intention qu'elle me déteste pour autant, elle est quand même responsable de mon avenir dans ce lycée.

-Excusez-moi, je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui, je pense que j'ai besoin de prendre un peu l'air.

Bon, d'accord, pas du tout. Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? Je pourrais très bien être malade, ou être prise de vertige, je suis la seule qui décide ce qui se passe dans mon corps, dans ma tête.
Un malaise palpable s'étend dans toute la pièce, et j'hésite de nombreuses fois à prendre la parole, mais je me restreint, je n'ai rien de bien intéressant à dire, et je ne veux pas paraître
impolie. Finalement, elle finit par souffler ces quelques mots:

-Très bien. On en parlera demain.

Je suis soulagée de sortir de cette endroit plutôt étouffant, mais le fait que ce "rendez vous" soit repoussé à demain me déprime au plus haut point. Je sais très bien de quoi elle veut me parler,
ce qu'elle veut me dire. Elle veut surement me réconforter et essayer de trouver qui est le fameux malin qui a écrit "Agathe à sucer plus de bites qu'il n'y a d'élèves dans ce lycée" sur la porte des toilettes, mais moi je n'en ai pas envie. Ça fais 1 ans que ça dure, et elle décrète seulement aujourd'hui que ce qui s'est passé est grave ? Ça va aller Madame, quand vous étiez occupée à retrouver la règle perdu de Jérémy ou encore à mettre le lycée en dette pour pouvoir payer un grand nombre de ballon de baskets pour l'équipe, je me suis forgée un mental d'acier. Même plus peur, je suis habituée. Si le lycée entier veut penser que ma bouche est un panier à bites, libre à lui de le penser. Je sais encore ce que vous vous dites, vous avez de la chance, j'ai un talent pour lire les pensées: "Mais tu le prend bien, je veux dire, ça ne te fait pas de la peine?".

Je ne peux pas dire que je sautes de joie, ni que j'apprécie qu'on pense à moi, mais ça ne m'effraie pas. Au début, oui, j'avais énormément de chagrin, je ne cessais de me répéter "pourquoi moi", je ne voulais même plus passer ce sombre couloir, craignant les remarques désobligeantes de mes camarades.
Mais ça m'est passé. Tout passe avec le temps. On se renforce, on prend l'habitude, et on arrive presque à trouver ça normal. Mais ça ne l'est pas. Non. Je le sais. Mais que ça le sois ou pas, ça
ne change rien. Je ne peux pas empêcher les gens d'y croire, je ne peux pas empêcher les coupables d'inventer, et je ne peux pas obliger les gens à réagir, alors on va faire comme si ça
ne m'atteignait pas.

Il est 12h. Je ne sais pas si le fait que j'ai oublié de réserver ma carte de cantine joue sur le fait que je n'ai pas faim, ou tout simplement le fait que je n'ai pas faim colle parfaitement
avec le fait que je n'ai pas réserver ma carte de cantine. Enfin. Peu importe. Un soleil flavescent mélangé à une odeur de pétrichor s'empare de tout mes pores. J'inspire une énorme bouffée
d'air comme si c'était la dernière avant une longue séance d'apnée, et l'expire avant autant de conviction, si bien que j'ai l'impression que mes poumons se vident entièrement.
L'astre du jour me brûle la peau. J'aime cette sensation. J'aime le fait que ça me
touche. J'ai l'impression que sa rentre en moi. Que je me remplie d'énergie. Je reste devant le lycée une demi heure environ. J'observe, j'analyse. En y repensant, l'entrée de mon lycée fait
étonnamment envie. Un jolie portail fleurie plutôt accueillant, des poutres assez haute qui apporte un sentiment de grandeur, de supériorité. De la verdure à ne plus savoir où regarder,
des élèves qui rient aux éclats, s'échangeant à mon avis les derniers potins ou encore les dernières informations encore à la mode. Ne jamais se fier aux apparences. Ce foutu lycée craint!
Comme le dit un certain proverbe allemand: "Tout ce qui brille n'est pas d'or". Ça s'applique plutôt bien. "l'habit ne fait pas le moine" est aussi un proverbe français connu qui marche, mais j'aime moins. Trop connu, trop utilisé, trop banal.

Une sonnerie de téléphone me sort de ma rêverie, je lance un rapide coup d'œil vers l'écran. Une notification apparait, un message. Le nom inscrit me donne automatiquement la nausée, et je verrouille l'objet sans même lire le contenu du message. Mes yeux se plissent, le soleil devient trop violent pour mes rétines. Je sens que mes yeux s'humidifient, s'embrument, si bien que je me vois forcée de les essuyer avec le revers de ma manche. Il est temps de rentrer.

Il est 15h. J'ai cours de philosophie, et je ne compte pas le manquer. La question que le professeur a si gentiment voulu qu'on aborde est "est-il raisonnable d'aimer?". A l'annonce du sujet qui nous prendra bien 1 trimestre à traiter, j'ai explosé de rire. Ne me demandez pas pourquoi, je n'ai pas la réponse. J'ai même du sortir car "apparemment" je dérangeais le cours.
Vous voulez que je vous dises? Tout le monde s'en fout. C'est vrai! On en a rien a foutre. Quel ado normalement constitué en a quelque chose à faire de savoir si aimer est raisonnable.
Si le sujet aurait été "comment réussir à séduire Mélanie en terminale S?" ou encore "Comment maigrir sans faire de sport", il y aurait eu plus d'oreilles à l'écoute, croyez moi.

Et puis alors? Même si ça n'était pas raisonnable, qui s'empêcherait de le faire. Personne. Elle est là la vraie réponse. Ce monde est égoïste. Chacun vis pour soi, pour son bonheur.
Alors excuse moi mais savoir si aimer est raisonnable ou non ça me fais une belle jambe. Mais j'adore quand même ce cours, c'est vraie, c'est plutôt drôle. Drôle d'entendre des conneries,
drôle de voir à quelle point les élèves écoutent cette connerie, et la ressorte tout fièrement comme si il avait enfin compris la vie. Drôle. Il n'y a pas d'autres mots. C'est mon petit plaisir
quotidien.
Mon arrivée en cours passe plutôt inaperçu, même avec mes 10 minutes de retard, mais l'attitude du professeur me laisse penser que ça ne le dérange pas que je ne sois pas là. C'est même un soulagement.
Je m'installe avec tranquillité, essayant de ne pas déranger mes camarades, même si au fond de moi j'espère les déranger. Quelqu'un frappe à la porte. Un troupeau de tête se retourne vers sa direction.
Inutile, je pense. Ça changera quoi à ma vie de me retourner et de voir Jérémy encore en retard inventer une multitude d'excuses, ou encore voir débarqué la proviseure car elle a oublié de nous annoncer une information extrêmement importante, vous n'imaginez pas. A rien. A part peut être me filer un torticolis pendant 2 semaines. Sans façon.
Le professeur souffle, montrant son mécontentement d'être une nouvelle fois dérangé.
-Oui?
La porte s'ouvre, enfin j'imagine. J'entends des murmures qui s'échangent entre mon professeur et une fille que je reconnais au son de la voix. Puis finalement, elle se décide à venir devant le tableau. Enfin quelqu'un qui a compris que je ne tournerai pas la tête. Mes yeux se posent sur une fille d'assez grande taille, cheveux long et châtains, des yeux marrons noisettes recouverts par des lunettes rondes. Elle est jolie et souriante. Je me doute que la fin du cours va tourner autour de sa présentation. La suite s'annonce ennuyeuse. J'aurais mieux fait de ne pas venir.

Pluie et ouraganOù les histoires vivent. Découvrez maintenant