Elle

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Ellie, depuis le début de l'année, elle m'intrigue.
Mais je fais mine de rien, parce que si on savait...

- Sasha ! scande Marco, déjà dehors. Bouge toi !

Je marmonne dans ma barbe. Marco, c'est mon meilleur pote depuis toujours. Alors évidemment, je ne vais pas le faire attendre... Et puis, il ne comprendrait pas.
À la sonnerie de fin des cours, on est toujours sortis les premiers, ravis de pouvoir enfin vivre...

Mais là, il y a Ellie.

Comment pourrais-je lui dire ? Comment pourrais-je lui expliquer que je traîne à la fin des cours pour pouvoir la voir, ne serait-ce que pour quelques secondes ? Pour observer sa façon si minutieuse de ranger ses affaires, pour détailler chacune de ses boucles blondes ?

Non, il ne comprendrait vraiment pas. Parce que c'est Ellie.

Et rien qu'en le disant, moi même je me rends compte à quel point c'est con.

Je traîne un peu des pieds et rejoins Marco en dehors du collège, sur notre banc habituel. On s'assied sur le dossier, les pieds sur l'assise et il me tend une clope. Je le questionne du regard et il me répond en haussant les épaules :

- J'sais pas, t'as l'air stressé en ce moment.

Marco sait que je ne fume pas. Seulement quand je suis en colère ou en stress. J'espère qu'il n'a pas compris pourquoi je le suis...
Je lui en prend une et lui demande :

- Passe du feu, steuplait.
- Je t'avais pas déjà donné un briquet y'a deux semaines ?

Je lui fait un regard de chien battu, et après avoir allumé sa cigarette, il me tend son briquet en levant les yeux au ciel. Je ris, et allume ma clope à mon tour.

- Tiens, regarde qui vient, me lance Marco du bout des lèvres.

Sur ces mots, je commence à trembler pensant qu'il s'agit d'Ellie, mais je me calme vite en me rappelant qu'elle n'est rien pour lui.

- Wesh les geeens ! nous lance une voix beaucoup trop enjouée.
- Calme ta joie, Denise, la rabroue Lina. Ça va vous ? dit elle en s'adressant à Marco et moi.
- Tranquille, répond Marco en la checkant.

Je la salue aussi, puis Denise, trop joyeuse et excitée.
Lina, c'est ma meilleure pote fille on va dire. Elle râle souvent, ne sourit jamais, mais elle est beaucoup trop cool et sympa. C'est le genre de personne qui pourrait t'innocenter d'un meurtre.
Denise, c'est sa pote d'enfance qu'elle a retrouvé cette année, et en plus d'avoir un prénom pas ouf j'ai l'impression qu'elle est beaucoup trop heureuse de faire partie de notre bande et qu'elle fait tout pour s'intégrer. Juste pour notre réputation, elle croit qu'on est des racailles.  Mais bon, elle est vraiment drôle, donc supportable.

Et oui, on a une réputation. Marco, Lina, Alex, Jessica - deux autres potes -, maintenant Denise et moi. On a une réputation.

Pour certains, on est des délinquants, des racailles. Quelle bonne blague.
Pour d'autres, on est les populaires, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Mais pour la majorité, on est les mystérieux, les stylés, genre le bon gros clichés des bad boys et bad girls.
C'est vrai qu'on ne se mêle pas trop aux autres, mais bon, de là à s'en faire une réputation...

Mais c'est fou de voir comme on nous a défini juste par nos façons de marcher, de parler, de fumer.

Au départ, ça m'amusais plus qu'autre chose. Mais plus maintenant. Je veux vraiment que ça change à présent.

- Tiens, voilà le duo ! lance Lina. Pourquoi vous êtes pressés comme ça ?
- On tente d'échapper à une créature malfaisante, grimace Alex avant d'exploser de rire.
- Qui ça ? demande Denise.
- Regarde, lance Jessica dans un mouvement de tête, avant de s'affaler contre Alex sur le banc.

D'un coup, mon cœur fait un bond dans ma poitrine, et je serre si fort mes dents que je vais finir par couper ma cigarette en deux.
Là, devant nous, marchant droit devant elle, apparut Ellie.

Mon Dieu.
Si vous m'entendez.
Faites. Que. Je. Ne. Décède. Pas.
Et pas de gaffes. Sivouplé.

- Ah d'accord, ce genre de créature... grimace Denise.

Mon Dieu, son teint, ses yeux, ses joues si roses qu'on dirait une petite poupée, elle est tellement mignonne, tellement cute, tellement...

- Atroce ! Regardez moi ça, elle porte des ballerines ! Elle sort tout droit des années 50, ou quoi ? raille Jessica.

Oui, elle porte des ballerines, oui. Et alors ? Ça lui va super bien, comme sa jupe ou son bandeau. C'est son style, et il lui va tellement bien...!

- C'est pas mieux que ses vêtements, remarque dédaigneusement Alex. Et ses cheveux aussi, on dirait une Barbie ! Non, pas vraiment une Barbie, plutôt... Euh...

Ses boucles blondes au reflet d'or, si brillantes qu'elles pourraient illuminer une ville entière, on aurait cru voir Boucle d'or... Ou non, plutôt...

- On dirait La Belle au Bois dormant, je soupire d'admiration.

Oups. Boulette.
Je le savais. Je le savais, que je ferais une gaffe.
C'est sûr, c'est fini, ils vont comprendre...
Ces quelques millisecondes de silence me parurent des heures, attendant que ma sentence ne tombe.

Soudain, un rire. D'Alex. Puis celui de Marco, de Jessica, et bientôt tout le monde rit. Je ne comprends pas... Se moquent-ils de moi ?
Et puis je reçu une tape sur l'épaule, une tape amicale. De Marco.

- Mais tellement, gros ! C'est trop ça ! approuve t-il en riant.

C'est alors que je compris : ils avaient pris mon soupir d'admiration pour un soupir d'exaspération, voire de désespoir. Ce que je pensais réellement en positif, ils l'avaient pris pour une blague négative !
Alors que je riais à mon tour, constatant que cette amalgame avait sauvé ma peau, sûrement alertée par nos rires, Ellie s'arrête de marcher.

Immédiatement, j'arrête de rire, ce qui n'est bien sûr pas le cas des autres. Mon sourire se fige. Puis elle se retourne vers nous, l'air mi-interloquée mi-exasperée, et nous dévisage un par un. Malgré les regards assassins ou défiants des autres, elle ne baisse pas l'intensité de son regard.
Soudain, elle s'arrête sur moi. Son regard est empli de jugement. Puis il glisse sur la cigarette entre mes doigts, et elle lève un sourcil. Lorsqu'elle plante à nouveau ses yeux dans les miens, son visage affiche une mine de dégoût, et son regard projette très clairement un mot :

<< Pathétique >>

Aussitôt, la cigarette me brûle les doigts et le goût du tabac m'écœure. Mais il est trop tard. Quand je lève la tête, Ellie est déjà repartie en levant les yeux au ciel.

- Connasse, lâche Lina en tchipant.
- Salope, crachent Alex et Marco en cœur.
- Quel lèche-cul cette fille, lance Denise.

Les insultes fusent, et je les prends toutes pour moi. Seule Jessica se tait, mais son regard est plus terrifiant que le plus haineux des discours.

SashaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant