Le Roi Trovion était incapable : il avait eu la malchance de naître lunatique, et, bien qu'il soit roi de sang, le monde entier n'attendait que sa mort pour que son règne pitoyable ne cesse. Le roi avait été marié à une princesse étrangère, parlant peu la langue, que l'on nommait avec douceur ''Catin allogène'' partout dans la cours. C'est ainsi qu'elle se réveillait, chaque matin, dans un environnement quelque peu dangereux pour sa personne, tant la violence des lisenriens, et notamment des hauts-dignitaires était palpable. Sans l'autorité d'un roi pour la protéger, elle n'était qu'une catin, une catin parmi les catins. Or, ce matin fut particulier puisqu'elle reçut une lettre, amenée tôt le mâtin par l'un de ses sujets, Samn, l'un des rares sujets quelque peu fidèle. La lettre, calligraphiée en toute grâce par le frère de la reine Sir Stephas Wull, indiquait leur arrivée prochaine à la cour. Heureuse de savoir que des membres de sa famille venaient la soutenir, Lina Wull s'empressa de porter ses meilleurs vêtements, et, alors qu'elle retirait sa robe de chambre pour enfiler une robe émeraude incroyablement brillante et sertie de pierres précieuses, quelqu'un heurta à sa porte. Un vieil homme entra, comme si il était en sa demeure, et ce vieil homme elle ne le connaissait que trop bien : Barroth Perle, oncle du roi par mariage. Il se tenait merveilleusement droit pour ses 59 années, et, la barbe finement taillée ainsi que la moustache retroussée comme deux fils de luth, clairsemés de mèches grises, regardait partout dans la pièce de ses deux yeux gris vifs et pénétrants. Il offrit à la reine un sourire dont seul lui avait le secret, sourire que l'on décrivait entre la séduction et l'amitié,sourire qui aurait pu faire craquer quelques cœurs de la cour, si Barroth n'était pas aussi fidèle. Avec tout amitié, il attrapa la reine par les épaules :
« -Lina. Ma Majesté, le roi attend votre splendeur à la salle du trône. »
Lina se contenta de hocher la tête, n'osant pas révéler plus que cela son accent prononcé, et, soufflant d'avoir à converser avec un tel abruti que son mari, se força à s'y rendre. Barroth avait réajusté les vêtements de la reine, comme l'aurait fait un sculpteur perfectionniste au pinacle de son art pour réajuster une statue d'or ; « L'apparence a un intérêt » disait-il toujours aux nombreux fils de Rois qui souhaitaient devenir ses pupilles. Et, puisque Barroth avait autant de succès à l'étranger, pourquoi restait-il au chevet d'un roi aussi misérable ? Car le vieil bedfortien avait un attachement profond à ce pays, mais aussi de nombreuses terres à faire mûrir, de nombreux intérêts commerciaux à faire perdurer, et une nombreuse famille à faire vivre pour des millénaires encore ; et, si pour cela il fallait se tenir près d'un roi lunatique pour encore 60 étés, Barroth le ferait. Le duc Perle accompagna sa reine à la salle du trône, où, sur le dit trône, se tenait le roi, un homme de petite taille, au visage surprenamment bien sculpté, aux cheveux blonds pétillant sur le dessus de sa tête comme si il ne s'en occupait jamais, ainsi qu'un duvet persistant en guise de barbe, témoignant du jeune âge du dirigent : ce n'était pas que l'homme semblait fou, mais tout dans ses petits yeux verts, enfoncés par des cernes, elles-mêmes rougies par la fatigue, semblait craindre le monde entier, et semblait maudire les Dieux pour lui avoir octroyé pareille existence. Fouinant de droite à gauche de la pièce, il observa d'abord Barroth, dans sa tunique bronze rattachée par une ceinture sanglée d'or, à qui il octroya un sourire, puis il posa le regard sur sa femme, en sinople, couleur habilement choisie puisque le roi ne supportait pas le rouge, et ceci malgré sa tenue à lui, érubescente. Il s'énerva tout de même en voyant sa femme ;
« -Qui es tu, toi ? Tu es bien celle qu'on appelle la catin partout en ville ?
-Je suis votre femme, monseigneur.., avait répondu timidement Lina, baissant les yeux et hésitant à plier le genou, Désolée monseigneur. »
Sa grammaire semblait parfaite, selon Barroth, mais son accent était misérable, et, même si il la connaissait depuis maintenant quelques mois, il savait qu'il ne s'y ferait jamais. Barroth était l'une des rares personnes dotés de suffisamment d'éloquence pour parler au Roi sans que ce dernier ne tente de le poignarder, et c'est ainsi qu'il se permit :
« -Veuillez respecter votre mariage, mon Roi, et les mots que vous avez prononcés ce jour la même. »
Le roi se contenta de hocher la tête, écoutant Barroth comme si il était son père. Ce dernier se retira finalement, laissant les mariés ensembles, sans pour autant oublier un regard compatissant pour la reine. Les 12 coups sonnèrent à l'Église, près du Château. Mais le duc de Bedfort avait de nombreuses choses à faire, et c'est ainsi qu'il rejoignit ses amis, élevés en sa présence, Olivar et Darren Parne, ses beaux frères, duc respectifs de Wallhalle et de Surret, ainsi que le ''Bon Duc'' d'Albemarle, Deston Bailer, pour honorer l'invitation à festoyer de ses amis, et puisque Barroth était remonté à Bas-Lise après de nombreuses années passées loin de ses terres natales, Bedfort, comme loin de Bas-Lise.
« -Cela faisait bien longtemps, Barroth, frère d'armes !, » commença Olivar, frappant dans le dos de son ami comme cela se faisait sur ses terres, le regard doux comme celui d'un ami sincère. Barroth lui répondit d'un grand sourire, l'homme face à lui à peine plus jeune que lui-même, il se sentait finalement à l'aise autour de ses proches. Il se rappelait de son enfance à la cour, marié très jeune à Kayna Parne, plus petite fille du roi, Bacchus Parne, roi qu'il avait servi comme si il était vassal,-bien que sans terres à l'époque-, dès ses 14 ans, Roi qui lui avait servi de père si tôt puisque le sien avait été assassiné par la maladie. Il se rappelait de cette bataille qu'il avait mené en Férusia, défendant les terres de Lisenria face à celui qu'on appelait ''Le Prince Noir'', un redoutable combattant étranger. Voyant les redoutables armées envahisseuses, moins nombreuses mais plus redoutables du haut de la colline de Mudd en Ferusia, Bacchus Parne avait congédié chacun de ses enfants, Barroth y-compris, mais contrairement à ses beaux frères, il était resté pour combattre. Il avait peiné à tenir en main la lourde épée, de par deux fois sa taille, et avait, paraît-il, surtout conseillé son roi lors de son affrontement chevaleresque contre le Prince Noir. Ce courage lui avait valu le surnom de ''le Brave'', qu'on utilisait de moins en moins plus le temps passait. Le roi avait perdu, mais la valeur de Barroth lui avait valu des territoires au Sud du Royaume, promis à d'autres princes. Considérant Barroth comme son propre fils, et cela par les nombreuses années passées en captivité dans les prisons d'Auchenchester, il le mit à la régence de Lisenria. Ces actions héroïques, de la part du roi et de Barroth, avait valu un grand respect de la part du Prince Noir, qui n'osa pas les exécuter sur le champ de bataille, voyant en ces héros des adversaires potentiels pour de futurs combats : le Prince Noir était un férus de combats difficiles, et, même si personne ne rivalisait que ce soit à sa stratégie ou à ses techniques de combat à l'épée longue, il cherchait dans les quatre coins du monde un égal en combat, jusqu'à essayer de les créer. Alors libérés quelques années plus tard, et ramenés par bateau sur les terres de Lisenria, l'absence de roi avait laissé le royaume sous une affreuse anarchie, et, le retour et la puissance évocatrice du Roi seul avait permis de réunir le pays derrière cette image. C'est cela que représentait Barroth aujourd'hui ; le retour du roi héroïque, mort il y a plus de 40 ans, et dont la présence n'avait jamais été aussi fortement demandée. Lisenria était laissée aux mains d'un roi fou, manipulé par un conseil parlant aux noms de besoins personnels. Lisenria était divisée par des tensions au sein même du conseil, où l'influence, jugée trop importante, du duc de Bedfort dérangeait ses rivaux, comme le prince de Bunke.
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Icebay
FantasyDes complots à Lisenria aux guerres du nord de Icebay, retraçons l'histoire du Monde Connu en son seul et unique continent: la Lance.