— Lupin, racontez-moi donc quelque chose.
— Eh ! que voulez-vous que je vous raconte ? On connaît toute ma vie ! » me répondit Lupin qui somnolait sur le divan de mon cabinet de travail.
« Personne ne la connaît ! m'écriai-je. On sait, par telle de vos lettres, publiée dans les journaux, que vous avez été mêlé à telle affaire, que vous avez donné le branle à telle autre... Mais votre rôle en tout cela, le fond même de l'histoire, le dénouement du drame, on l'ignore.
— Bah ! Un tas de potins qui n'ont aucun intérêt.
— Aucun intérêt, votre cadeau de cinquante mille francs à la femme de Nicolas Dugrival ! Aucun intérêt, la façon mystérieuse dont vous avez déchiffré l'énigme des Trois tableaux !
— Étrange énigme, en vérité, dit Lupin. Je vous propose un titre : Le signe de l'ombre.
— Et vos succès mondains ? ajoutai-je. Les intrigues du galant Arsène !... Et le secret de vos bonnes actions ? Toutes ces histoires auxquelles vous avez souvent fait allusion devant moi et que vous appeliez : L'anneau nuptial, La mort qui rôde ! etc. Que de confidences en retard, mon pauvre Lupin !... Allons, un peu de courage... »
C'était l'époque où Lupin, déjà célèbre, n'avait pourtant pas encore livré ses plus formidables batailles ; l'époque qui précède les grandes aventures de l'Aiguille Creuse et de 813. Sans songer à s'approprier le trésor séculaire des rois de France ou à cambrioler l'Europe au nez du kaiser, il se contentait des coups de main plus modestes et de bénéfices plus raisonnables, se dépensant en efforts quotidiens, faisant le mal au jour le jour, et faisant le bien aussi, par nature et par dilettantisme, en Don Quichotte qui s'amuse et qui s'attendrit.
Comme il se taisait, je répétai :
« Lupin, je vous en prie ! »
À ma stupéfaction, il répliqua :
« Prenez un crayon, mon cher, et une feuille de papier. »
J'obéis vivement, tout heureux à l'idée qu'il allait enfin me dicter quelques-unes de ces pages où il sait mettre tant de verve et de fantaisie, et que moi, hélas ! je suis obligé d'abîmer par de lourdes explications et de fastidieux développements.
« Vous y êtes ? dit-il.
— J'y suis.
— Inscrivez : 19 – 21 – 18 – 20 – 15 – 21 – 20
— Comment ?
— Inscrivez, vous dis-je.
Il était assis sur le divan, les yeux tournés vers la fenêtre ouverte, et ses doigts roulaient une cigarette de tabac oriental.
Il prononça :
« Inscrivez : 9 – 12 – 6 – 1... »
Il y eut un arrêt. Puis il reprit :
« — 21. »
Et, après un silence :
« 20 – 6... »
Était-il fou ? Je le regardai, et peu à peu je m'aperçus qu'il n'avait plus les mêmes yeux indifférents qu'aux minutes précédentes, mais que ses yeux étaient attentifs, et qu'ils semblaient suivre quelque part, dans l'espace, un spectacle qui devait le captiver.
Cependant, il dictait, avec des intervalles entre chacun des chiffres :
« 21 – 9 – 18 – 5... »
Par la fenêtre, on ne pouvait guère contempler qu'un morceau de ciel bleu vers la droite, et que la façade de la maison opposée, façade de vieil hôtel dont les volets étaient fermés comme à l'ordinaire. Il n'y avait là rien de particulier, aucun détail qui me parût nouveau parmi ceux que je considérais depuis des années...
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Les confidences d'Arsène Lupin
General Fiction■ Écrit par Maurice Leblanc (1913) ■ "Monsieur Arsène Lupin a l'honneur de vous faire part de son mariage avec Mademoiselle Angélique de Sarzeau-Vendôme, princesse de Bourbon-Condé, et vous prie d'assister à la bénédiction nuptiale qui aura lieu en...