Arsène Lupin, que pensez-vous au juste de l'inspecteur Ganimard ?
— Beaucoup de bien, cher ami.
— Beaucoup de bien ? Mais alors pourquoi ne manquez-vous jamais l'occasion de le tourner en ridicule
— Mauvaise habitude, et dont je me repens. Mais que voulez-vous ? C'est la règle. Voici un brave homme de policier, voilà des tas de braves types qui sont chargés d'assurer l'ordre, qui nous défendent contre les apaches, qui se font tuer pour nous autres, honnêtes gens, et en revanche nous n'avons pour eux que sarcasmes et dédain. C'est idiot.
— À la bonne heure, Lupin, vous parlez comme un bon bourgeois.
— Qu'est-ce que je suis donc ? Si j'ai sur la propriété d'autrui des idées un peu spéciales, je vous jure que ça change du tout au tout quand il s'agit de ma propriété à moi. Fichtre, il ne faudrait pas s'aviser de toucher à ce qui m'appartient. Je deviens féroce alors. Oh ! Oh ! ma bourse, mon portefeuille, ma montre... à bas les pattes ! J'ai l'âme d'un conservateur, cher ami, les instincts d'un petit rentier, et le respect de toutes les traditions et de toutes les autorités. Et c'est pourquoi Ganimard m'inspire beaucoup d'estime et de gratitude.
— Mais peu d'admiration.
— Beaucoup d'admiration aussi. Outre le courage indomptable, qui est le propre de tous ces messieurs de la Sûreté, Ganimard possède des qualités très sérieuses, de la décision, de la clairvoyance, du jugement. Je l'ai vu à l'œuvre. C'est quelqu'un. Connaissez-vous ce qu'on a appelé l'histoire d'Édith au Cou de Cygne ?
— Comme tout le monde.
— C'est-à-dire pas du tout. Eh bien, cette affaire est peut-être celle que j'ai le mieux combinée, avec le plus de soins et le plus de précautions, celle où j'ai accumulé le plus de ténèbres et le plus de mystères, celle dont l'exécution demanda le plus de maîtrise. Une vraie partie d'échecs, savante, rigoureuse et mathématique. Pourtant, Ganimard finit par débrouiller l'écheveau. Actuellement, grâce à lui, on sait la vérité au quai des Orfèvres. Et je vous assure que c'est une vérité pas banale.
— Peut-on la connaître ?
— Certes... un jour ou l'autre... quand j'aurai le temps... Mais, ce soir, la Brunelli danse à l'Opéra, et si elle ne me voyait pas à mon fauteuil !... »
Mes rencontres avec Lupin sont rares. Il se confesse difficilement, quand cela lui plaît. Ce n'est que peu à peu, par bribes, par échappées de confidences, que j'ai pu noter les diverses phases de l'histoire, et la reconstituer dans son ensemble et dans ses détails.
L'origine, on s'en souvient, et je me contenterai de mentionner les faits.
Il y a trois ans, à l'arrivée, en gare de Rennes, du train qui venait de Brest, on trouva démolie la porte d'un fourgon loué pour le compte d'un riche Brésilien, le colonel Sparmiento, lequel voyageait avec sa femme dans le même train.
Le fourgon démoli transportait tout un lot de tapisseries. La caisse qui contenait l'une d'elles avait été brisée et la tapisserie avait disparu.
Le colonel Sparmiento déposa une plainte contre la Compagnie du chemin de fer, et réclama des dommages-intérêts considérables, à cause de la dépréciation que faisait subir ce vol à la collection des tapisseries.
La police chercha. La Compagnie promit une prime importante. Deux semaines plus tard, une lettre mal fermée ayant été ouverte par l'administration des postes, on apprit que le vol avait été effectué sous la direction d'Arsène Lupin, et qu'un colis devait partir le lendemain pour l'Amérique du Nord. Le soir même, on découvrait la tapisserie dans une malle laissée en consigne à la gare Saint-Lazare.
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Les confidences d'Arsène Lupin
Genel Kurgu■ Écrit par Maurice Leblanc (1913) ■ "Monsieur Arsène Lupin a l'honneur de vous faire part de son mariage avec Mademoiselle Angélique de Sarzeau-Vendôme, princesse de Bourbon-Condé, et vous prie d'assister à la bénédiction nuptiale qui aura lieu en...