Le piège infernal

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Après la course, un flot de personnes qui s'écoulait vers la sortie de la tribune ayant passé contre lui, Nicolas Dugrival porta vivement la main à la poche intérieure de son veston. Sa femme lui dit :

« Qu'est-ce que tu as ?

— Je suis toujours inquiet... avec ton argent ! j'ai peur d'un mauvais coup. »

Elle murmura :

« Aussi je ne te comprends pas. Est-ce qu'on garde sur soi une pareille somme ! Toute notre fortune ! Nous avons eu pourtant assez de mal à la gagner.

— Bah ! dit-il, est-ce qu'on sait qu'elle est là, dans ce portefeuille ?

— Mais si, mais si, bougonna-t-elle. Tiens, le petit domestique que nous avons renvoyé la semaine dernière le savait parfaitement. N'est-ce pas, Gabriel ?

— Oui, ma tante, fit un jeune homme qui se tenait à ses côtés. »

Les époux Dugrival et leur neveu Gabriel étaient très connus sur les hippodromes, où les habitués les voyaient presque chaque jour. Dugrival, gros homme au teint rouge, l'aspect d'un bon vivant ; sa femme, lourde également, le masque vulgaire, toujours vêtue d'une robe de soie prune dont l'usure était trop visible ; le neveu, tout jeune, mince, la figure pâle, les yeux noirs, les cheveux blonds et un peu bouclés.

En général, le ménage restait assis pendant toute la réunion. C'était Gabriel qui jouait pour son oncle, surveillant les chevaux au paddock, recueillant des tuyaux de droite et de gauche parmi les groupes des jockeys et des lads, faisant la navette entre les tribunes et le pari mutuel.

La chance, ce jour-là, leur fut favorable, car, trois fois, les voisins de Dugrival virent le jeune homme qui lui rapportait de l'argent.

La cinquième course se terminait. Dugrival alluma un cigare. À ce moment, un monsieur sanglé dans une jaquette marron, et dont le visage se terminait par une barbiche grisonnante, s'approcha de lui et demanda d'un ton de confidence :

« Ce n'est pas à vous, monsieur, qu'on aurait volé ceci ? »

Il exhibait en même temps une montre en or, munie de sa chaîne.

Dugrival sursauta.

« Mais oui... mais oui... c'est à moi... Tenez, mes initiales sont gravées... N. D... Nicolas Dugrival. »

Et aussitôt il plaqua la main sur la poche de son veston avec un geste d'effroi. Le portefeuille s'y trouvait encore.

« Ah ! fit-il bouleversé, j'ai eu de la chance... Mais tout de même, comment a-t-on pu ?... Connaît-on le coquin ?

— Oui, nous le tenons, il est au poste. Veuillez avoir l'obligeance de me suivre, nous allons éclaircir cette affaire.

— À qui ai-je l'honneur...

— Monsieur Delangle, inspecteur de la Sûreté. J'ai déjà prévenu M. Marquenne, l'officier de paix. »

Nicolas Dugrival sortit avec l'inspecteur, et tous deux, contournant les tribunes, se dirigèrent vers le commissariat. Ils en étaient à une cinquantaine de pas, quand l'inspecteur fut abordé par quelqu'un qui lui dit en hâte :

« Le type à la montre a bavardé, nous sommes sur la piste de toute une bande. M. Marquenne vous prie d'aller l'attendre au pari mutuel et de surveiller les alentours de la quatrième baraque. »

Il y avait foule devant le pari mutuel, et l'inspecteur Delangle maugréa :

« C'est idiot, ce rendez-vous... Et puis qui dois-je surveiller ? M. Marquenne n'en fait jamais d'autres... »

Les confidences d'Arsène LupinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant