Le petit carnet

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      Réfléchir sur sa vie, vivre dans l'inertie des choses, des doses de toute sorte pour ne plus rien ressentir, sentir la déchéance s'entremêler à l'ennui, voir que tout ne rime plus à rien. Puis il y a l'apprentissage, apprendre à respirer comme si nous étions constamment sous un train plutôt que de savoir comment la société fonctionne lorsque tout semble n'être que des illusions sachant marcher et parler. Préférer bafouiller plutôt que s'expliquer ; comment dire à quel point on ne va ni bien ni mal tant on ne sait plus reconnaître la différence, pourtant considérés comme deux extrêmes. Regarder les autres avancer lorsqu'on semble reculer, chuter, simplement asphyxiés par l'impression de ne plus savoir réellement ce que c'est de ressentir les goûts, de connaitre ses émotions, de se laisser approcher, d'exister comme étant quelqu'un. Une seconde préférence vient, celle de la facilité pour certains et d'un mécanisme pour d'autres, de se dévaloriser, de ne passer que vaguement devant un miroir pour ne pas se donner un nouvel élément pour mieux se détruire ; la finalité étant de savoir si on préfère vivre dans une destruction complète de soi ou dans une recherche perpétuelle de bonheur. 

     Puis, il y a la douleur et la crainte, celle d'un silence mortuaire ou d'une peur de s'y complaire dans la plainte. La solitude est à la fois si belle qu'elle en devient un démon dont on ne sait plus en désapprendre l'habitude pour se laisser approcher, préférant boire que de donner une belle image de soi et finalement d'avoir des discours basés sur la raison et peut-être sur le respect de soi malgré une envie d'ivresse éternelle. A vrai dire, je préfère boire et tournoyer bêtement dans les boîtes que de me délasser contre quelqu'un qui ne plaira plus une fois le levé arrivé, n'ayant plus de cœur, ayant déjà vécu mes idéaux bien trop tôt. Deux, trois, bientôt quatre ans ne suffisent pas. Je n'aime pas souvent mais lorsque j'aime tout s'arrête, le quotidien, le temps, jusqu'à la vie entière. Amour précoce, la voilà la tendre fin de ce moi pathétique. Alors je vois mon monde actuel, en ruine, les exploitant jusqu'à la dernière pierre en espérant trouver quelque chose que je n'ai pas encore fait, une chose qui me redonnerait l'impression que j'ai encore un cœur qui bat à l'intérieur de ma poitrine lorsque tout se réclame détruit, brulé, brisé lorsqu'on hyperbole. 

     La seule chose qui me réconforte c'est cette baie vitrée toujours ouverte, jours comme nuits, laissant une superbe vue à ma portée où la beauté vient se bercer entre deux montages au-dessus des nuages. Ainsi au dixième étage existe un appartement, où malgré des mouvements et des meubles, personne ne s'y trouve réellement. Il y a bien sûr beaucoup d'amour quelque part que j'essaie de donner en prenant soin des personnes qui m'entourent, mais par automatisme et une fois seule, les masques, manteaux et capes tombent pour ne laisser qu'une chose dont je ne saurais dire si c'est une enfant meurtrie, une adulte en décomposition ou une vielle dame sur le point de s'éteindre. Je suis sûre de ne pas avoir tout vécu, afin d'être objective et de me donner des étapes à franchir, mais ma vie a une telle allure que j'ai l'impression d'en avoir vécu suffisamment depuis mes quatre ans où la vie a commencé à être minable, déjà trop écarté de la normalité, de ceux qui ont eu des soucis sans pour autant les avoir pour le reste de leur existence. 

     Je ne catégorise rien, je n'aime pas cela de toute façon les catégories, mais parfois des instants viennent s'imposer avec tant d'impacts qu'il est difficile d'en sortir indemne, graves ou simples. On apprend simplement à vivre avec, avec plus ou moins de difficulté, mais il le faut. Et dans un monde où de moins en moins de monde ont leur place, la difficulté s'accroit. On ne comprend ni le monde ni soi-même, mais on essaie pourtant de se sociabiliser, là encore avec ou sans gêne de la vie vécue. Car il y a beau avoir un passé, un présent et un avenir, cela concerne toujours la même vie. Il n'y a qu'un seul morceau qui s'écrit, peu importe si on change de page ou complètement de carnet. Bien sûr on choisit à un moment donné, que ce soit pour des études ou la personne en devenir que nous souhaitons, mais l'influence de la normalité a toujours une trop forte tonalité dans tout ceci. Dès lors, on ne sait plus devenir, ce qui est mon état actuel, à force d'une multitude de normes qu'on n'arrive plus à assimiler en plus d'être soi. Alors on voit. Alors on fume. Alors on s'enivre. Alors on fait n'importe quoi. Et alors, enfin on se sent vivre sans n'avoir jamais été réellement présent.

Seuls les fêlés laissent passer la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant