CHAPITRE II

6 0 0
                                    

Il avait prit la route d'un pas pressé, et le calme apparent n'avait rien fait pour le rassurer. Il aurait suffit qu'une voiture passe et il aurait peut être tenté de faire du stop, même à cette heure. Les gens étaient quelquefois assez intelligents pour se rendre compte qu'ils n'avaient rien à craindre de lui. Mais, parfois, ils étaient aussi trop méfiants, ou au pire très bizarres, et ce n'était pas la peine de tomber à cette heure tardive sur un psychotique en mal de sensations.
Les kilomètres se réduirent, la cadence qu'il pratiqua le rassura. Déjà une demi heure de marche et il n'en avait plus que pour une heure. Il se sentit soudainement soulagé. Après une longue marche dans un silence religieux qu'avec pour seul compagnon le bruit de ses pas, il arriva à la porte de son immeuble.
Merde !! c'est quoi c'bordel ?? La serrure magnétique de la porte ne marche pas, mon badge d'entrée ne sert à rien là ! Raaah ! Super. Je ne peux même pas rentrer chez moi ! La foudre sans doute, qui a tout fait sauter. Je vais tenter de sonner aux autres appartements, peut être que... BZZZZEUUUU !
-Qu'est ce que c'est ? ' De dieu !!! Savez l'heure qu'il est, merde !? -Oui, euuh, excusez moi madame, mais il me semble que le bouton d'ouverture électrique de la porte est grillée... je suis dehors.. vous pourriez m'ouvrir s'il vous plait ? Le type, pas aimable pour deux sous, commença à l'invectiver méchamment. -ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ESPÈCE DE MALADE, PAS CINGLÉ CELUI LA, A DES HEURES PAS POSSIBLES, J'T'EN FOUTRAIS MOI D'SONNER A C'T'HEURE-CI !! Crr...crrr. Crrrrr...!!!! La voix nasillarde se perdit dans le lointain dans un grésillement. -Ok, super sympa... je fais quoi maintenant moi ???! Bon ben, autre solution... dormir dehors, mais j'avoue que vu l'ambiance à l'extérieur, et la température qu'il fait ; dix degrés max, ça me tente pas vraiment. Deuxième solution de secours extrême ; je vais tenter de joindre Claire, on verra bien. Louis prit son téléphone dans sa poche et composa le numéro de son amie. -"Salut c'est Claire, je suis absente pour le moment, laissez moi un message, je vous rappelle, merci !". Merde, répondeur. Ma chance... -"Salut Claire, c'est Louis, euuh, dis moi, je suis dehors là, la serrure électrique du sas de mon bloc à sauté, et il est pas loin de minuit, et... et je ne peux pas rentrer... les gens m'insultent dès que je sonne et que je tente de m'expliquer par interphone... euuuh, possible que tu me rappelles ? J'ai bien eu ton sms dans la journée, mais... pas complètement.... J'ai pas pu te rappeler, trop de boulot, j'espère que tu ne dors pas... Mouais... j'attends ton coup de fil. A plus !" Me voilà en train de faire les cent pas devant chez moi, bloqué dehors, à attendre un coup de fil de Claire... Journée de merde ! Soirée de merde !! Et pour compléter, nuit de merde qui s'annonce !!
•••••••••


DAKAR. SÉNÉGAL - AVRIL 2370

LA BiStam ne fonctionnait pas ! Baboo ne trouvait toujours pas la raison pour laquelle le véhicule ne voulait pas démarrer alors que la dernière recharge datait de la matinée même. Les BiStam avaient toujours des problèmes et même les plus récentes, surtout celles construites entre 2354 et 2370. Elles avaient cumulé les erreurs de programmation du générateur de démarrage. La seule possibilité de les faire fonctionner, et d'avoir chez soi un chargeur multiplex (Multipoint), qui permet de la charger rapidement et de limiter les court-circuits pourtant cette fois, la faute n'en revenait pas aux appareils. La jeune femme souffla bruyamment d'exaspération. Elle dut se faire une raison. Ce serait à pied aujourd'hui encore.
Du plus loin où elle pouvait se souvenir, elle avait toujours cumulé les problèmes avec les moyens de transport. Le moindre petit soucis électronique, chimique, électrique, ou ayant un rapport direct avec la technologie, en était devenu presque normal. C'était sa vie. L'état de la batterie de cette Bistam était une preuve de plus. Chargée à bloc pendant la nuit, elle aurait du démarrer mais n'en fit rien. Baboo a toujours vécue avec une particularité très étrange. Elle transformait tout appareil électrique ou électronique en objet inerte. Le plus drôle, c'est qu'elle n'avait jamais réussi à l'expliquer.
Bébé, elle fut découverte enfant dans une carcasse de voiture en plein milieu de la savane sénégalaise par un couple de médecin de brousse. Elle était simplement enveloppée d'une vieille étoffe de soie bleue. Elle n'avait que quelques semaines. Aujourd'hui, elle était devenue une belle jeune femme. De grande taille presque longiligne, une rivière de cheveux blonds lui tombait en cascade sur les épaules et le dos, de plus elle était un cœur et un esprit à fleur de peau. C'était une femme qui passait son temps à s'inquiéter pour son prochain sans que jamais personne ne s'inquiète vraiment pour elle. Malgré tous leurs efforts, ses parents adoptifs n'avait jamais réussi à retrouver la trace de ses vrais géniteurs et c'était mission impossible en cette époque trouble.

Elle soufflait de découragement. Toujours à pied ! Encore à pied ! La lassitude devenait sa meilleure amie. Elle se demandait si ce n'était pas une sorte de dérèglement électromagnétique ? Depuis la dernière éruption solaire de 2368, les appareils très simples comme les communicateurs B (ou Comm B) avaient subi pas mal de dommages. La connexion d'ordinaire si simple avait pris des semaines avant de se refaire normalement. Le soleil cognait déjà beaucoup ce matin, 8h30 et déjà 25 degrés. l'air sentait la poussière et le sable, cette poussière qui colle à l'intérieur des joues et épaissit la salive, l'atmosphère était lourde et le sol se craquelait déjà. Elle avisa son Comm B.
"..Pas de signal. Pas de signal. Pas de signal.." Toujours en train de déconner celui là ! Se dit-elle. Elle avait beau se concentrer, elle n'arriva pas à me connecter son esprit à celui de son chien par l'intermédiaire de sa puce CTP. Etait-ce encore les évènements climatiques ou elle ? Elle appuya sur son lobe d'oreille droite. La seule façon pour se connecter au CTP. Il fallait aussi être dans un champ de signal, que l'animal soit éveillé, que ses pensées soient uniquement tournées vers lui... tout un système pas encore très au point finalement. Au début du XXIVème siècle, la technologie CTP (Contact télépathique Positronique) fit son apparition. Les animaux les plus familiers (chien, chat, singe) en furent équipés. Ces animaux génétiquement modifiés étant créés en laboratoire. Les scientifiques implantèrent dans leur cerveau une puce destinée à coordonner une communication semi-télépathique avec leur maitre. Un signal électronique était émis par le cerveau de l'animal et le maitre le réceptionnait, la puce implantée dans le lobe droit de l'oreille du maitre retranscrivait ce signal en paroles audibles et compréhensibles. Le maitre pouvait répondre de la même manière, par la pensée. L'onde électronique était réinterprétée par l'animal sous forme de micro-signaux neuronaux qui prenait la forme de son language propre. Les deux pouvaient ainsi interragir sans aucun stimulus sonore. C.H.O.N était un de ces animaux. Tous ces chiens sans exception étaient de race Jack Russel croisé Épagneul, une race devenue universel par la force des choses. La seule race dont le patrimoine génétique avait réussi à s'adapter aux conditions climatiques particulières du XXII et XXIIIème siècle. Les chats étaient eux de race Chartreux, et les singes des Gibons. Cette sélection unique avait été déterminée en 2289 et fut définitivement adoptée en 2358. Le gain de temps à la conception fut radical.

Le Comm B se mit subitement à sonner. La jeune femme sortit de ses pensées et effleura l'écran. -Bonjour Chandra, comment vas tu ? Et comment se porte mon chien ? -Tout va bien... Chandra marqua quelques secondes de silence. Il me semble que tu es en retard ! Comme toujours... -Oui... euh... ma BiStam est encore tombée en rade.. -Encore ? Mais comment fais-tu pour cramer tes sketcheurs à chaque fois ? Il n'y a qu'avec toi que j'entends ce genre de choses ! C'est pas possible ! Une fois, deux fois à la rigueur ? Mais depuis le début du mois dernier, cela doit bien faire une quinzaine de fois que tu me matraques du même motif ! Mais à quoi touches-tu pour faire fondre les composants ? -Je te l'ai déjà dit... je ne touche à rien... Je t'assure. Le sketcheur est chargé à chaque fois à son maximum. Il est quasi neuf, et je l'ai rechargé ce matin. Moi non plus, je ne pige pas. Thomas ne répondait pas à mes appels non plus tout à l'heure, j'imagine qu'il doit être occupé. Tu l'as vu dernièrement ? -Thomas est toujours occupé... il m'a dit hier soir, qu'il ne voulait pas être dérangé jusque samedi, il a pas mal de rendez vous. De plus il repart à Pa-Fanto dès demain. Il a une importante réunion avec l'équipe scientifique. Ce n'est pas que tu l'ennuies mais il faut que tu saches qu'il n'en sait pas plus que moi sur tes vrais parents. Les questions doivent cesser. Il a autre chose à penser je crois. -Ok... ok.. pas la peine de monter dans les tours et me faire la morale. Je lâche l'affaire. Tu sais ce que je penses de tout ça, n'est ce pas ? J'ai toujours eu l'impression que l'on me cachait quelque chose sur mes vrais parents, que ces foutus gratte-papiers du gouvernement de Pa-Fanto en savaient plus qu'ils ne voulaient le dire... Ou alors c'est moi qui suis paranoïaque ou malade, psychotique, persécutée... ou je ne sais quels termes déplaisants j'ai pu encore entendre dernièrement... -Baboo... S'il te plait... Chandra crachait ses mots, l'exaspération était à son comble. Je dépose ton chien en fin d'après midi chez toi. Essaye d'être là, et ne me bidonnes pas encore une de tes excuses si je me retrouve coincée devant ta porte ! Allez je te laisse ! A tout à l'heure ! Chandra interrompit la communication brutalement. Baboo effleura le bouton de son Comm B, elle posa les coudes sur l'appuie de fenêtre et regarda d'un œil mélancolique le soleil se lever sur l'océan.

Möendral, les Pierres du Temps.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant