Quelques jours plus tard, les grandes vacances débutaient. Désireux de lui changer les idées, les parents de Chris l'envoyèrent en colonie de vacances, puis chez ses grands parents, et enfin ils partirent en Espagne, si bien qu'elle ne vit plus son placard pendant une longue période.
Toutefois, cet éloignement ne pouvait durer éternellement. Le premier septembre, Chris prit le chemin du retour, retrouvant sa chambre avec appréhension.
Le soir tomba, et Maman l'envoya se coucher. Toutefois, Chris avait changé pendant ces vacances et elle était bien décidée à ne plus se laisser terroriser. Plus question d'avoir constamment peur.
« Ce n'est pas réel, ce n'est pas réel. » se répétait elle. Elle bloqua tout de même la porte du placard avec sa chaise. Presque furieuse, elle se jeta entre les draps et ferma les yeux.
Ainsi commence le combat contre la peur.
Les nuits n'étaient jamais identiques.
Il arrivait que la porte ne bouge pas. Parfois, à son réveil, Chris la trouvait grande ouverte. Elle plaça sa chaise contre les battants, posa un cadenas, un nœud fait d'une ficelle. Elle tenta de comprendre ce qui pouvait se trouver derrière, ou tout au fond. Un jour, elle eut même l'audace d'inspecter la paroi à l'aide d'une lampe torche, pour peut être y déceler un trou, un passage, une réponse.
Elle chercha du mieux qu'elle put à la bibliothèque mais les livres d'enfants ne répondaient pas à ses questions. A bout de ressources, elle se tourna vers son père en lui demandant s'il existait une espèce animale se cachant dans les placards. Il l'observa d'un air soucieux, puis dit :
« Décidément, ce meuble te cause bien des soucis. »
Papa avait tort. Chris n'avait pas peur du placard, mais de ce qu'il y avait à l'intérieur.
Les semaines passaient, le ventre de Maman continuait à enfler comme un gros ballon plein d'hélium. Tandis qu'elle et Papa trépignaient d'excitation, Chris angoissait pour le bébé qui naîtrait dans une maison pleine de monstres.
Elle avait pris l'habitude de cacher un couteau dérobé à la cuisine sous son oreiller, juste au cas où les créatures attaqueraient. Désormais, elle se réveillait toutes les heures, tirée du sommeil par des couinements, des crissements de griffes contre le plancher, des bruits de cavale.
On aurait dit que toutes les souris de la maison se donnaient rendez vous chez Chris. Elle les voyait la nuit, passer sous la porte pour se rejoindre devant le placard.
De plus en plus nombreuses.
Dressées sur leurs petites pattes arrière, moustaches en alerte, le museau flairant quelque chose que Chris ne pouvait percevoir, elles tenaient là un rituel secret.
Un soir, alors que la petite fille contemplait une fois de plus le ballet des innombrables rongeurs, elle remarqua qu'il n'en arrivait plus de nouvelles. Étaient-elles toutes présentes ? Assise sur son lit, un coussin dans le dos, Chris avait laissé son volet entrouvert. La lueur des réverbères éclairait sa chambre, fragmentée par le store.
Le temps semblait s'étirer tandis qu'elle attendait de voir ce que feraient les souris, parfaitement réveillée, sa curiosité piquée au plus haut point.
Soudain, le cadenas avec lequel elle avait verrouillé la porte tomba, ouvert comme par magie. Sa chute n'effraya pas les souris, tandis que Chris réprimait un sursaut. Son cœur commençait à s'emballer et une sueur froide coula le long de sa tempe.
Puis, comme dans un cauchemar, les battants s'ouvrirent. A l'unisson, lentement. Une force invisible les écartait. La respiration de Chris devint haletante, lourde. A tâtons, sans quitter le placard des yeux, elle s'empara du couteau sous son oreiller.
Elle demeura interdite, s'efforçant de ne pas trembler, fixant obstinément le contenu de son placard. Elle devinait vaguement la silhouette des chemises pendues aux cintres, mais le reste était plongé dans le noir. Chris avait très froid.
Les sens en alerte, elle guettait le moindre son, tout mouvement furtif. Rien. Même les habituels chuchotements auxquels elle s'était habituée ne se faisaient plus entendre. Silence et immobilité.
Puis, lentement, une longue chose à la forme tourmentée se mut. Elle se déplia avec agilité, semblant sortir des ténèbres qui occupaient le placard. Ses articulations pointues se délièrent, doucement, patiemment.
Chris réalisa que ce qu'elle avait pris pour une branche était un bras. Elle s'en rendit compte lorsque les doigts apparurent. Aussi fins, effilés et aiguisés que la lame de son couteau.
Les doigts voletèrent autour de la souris la plus proche du placard. Elle n'esquissait pas un mouvement. Chris entendait son cœur accélérer. Elle avait chaud, puis froid et très mal au ventre. Pourtant, ce bras terrifiant l'empêchait de partir en courant, bien qu'elle en meure d'envie. La menace inhérente à sa présence la clouait sur place, terrorisée. Elle ne devinait que trop facilement ce qui allait se produire.
Les doigts crochus ne semblaient guère pressés de clore leur danse, quand brutalement, ils saisirent le rongeur en pressant si fort que la petite bête laissa échapper un couinement strident. Aussitôt, le bras disparut dans le placard, emportant avec lui le pauvre animal.
Chris se mordit violemment l'intérieur de la joue pour ne pas hurler. Elle ferma les yeux au son des dents qui démembraient, déchiraient, déchiquetaient les chairs de la souris.
Tout doucement, elle s'allongea sur son matelas et rabattit la couette sur sa tête, les yeux toujours clos. Sa main serrait si fort le couteau que les jointures de ses doigts blanchissaient. Elle s'efforçait d'ignorer les ignobles bruits qui résonnaient si proche. Une par une, les souris étaient happées en couinant, puis résonnait cette cacophonie de dents qui s'entrechoquaient furieusement pour broyer la viande et les os.
Craquements, cris de douleur, mastication, un son écœurant à la fois mou et suintant. Répétition. A chaque couinement, Chris comptait combien de souris étaient mangées.
Trois
Huit
Dix
Vingt deux
Plus le nombre augmentait et plus Chris avait peur. A quarante trois, les bruits cessèrent.
Elle n'entendait rien. Ses doigts serrèrent davantage l'arme. Il fallait regarder. Elle avait horriblement peur, mais elle devait le faire, pour s'assurer que la créature ne sortait pas. Elle ne devait pas quitter le placard.
Les yeux emplis de larmes, Chris rejeta sa couette. Le couteau brandi en direction du placard, elle se redressa juste à temps pour voir le bras disparaître parmi les vêtements.
La petite fille n'avait aucune idée du temps qu'elle passa sur son lit, les muscles tendus et l'œil alerte, à guetter une éventuelle sortie du monstre. Au petit matin, quand les réverbères s'éteignirent et que les chuchotements disparurent, elle se laissa aller à pleurer.

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Chris a peur du placard
ContoLe placard de Chris n'est pas tout à fait comme les autres... (Nouvelle découpée en cinq petits chapitres)