5 - Et la légende naquit

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L'enfant sentait le métal froid sur sa paume, la fine détente sous son doigt, et le poids de l'arme dans son avant bras.

Il cachait sa main droite et le revolver qu'il tenait sous un pan de sa chemise.

Personne ne faisait attention à lui : ni le shérif ou son adjoint qui étaient venus dès les coups de feu, ni les badauds qui se pressaient pour alimenter leur moulin à ragots, encore moins les témoins de l'affaire qui racontaient à qui voulait bien l'entendre qu'ils avaient tout vu.

Les distractions étaient rares dans cette ville, et un meurtre attirait inéluctablement une foule disproportionnée de curieux...

L'enfant, discret, transparent, se faufilait à travers la foule. Il n'avait qu'une seule idée en tête : venger Marcus, faire payer au meurtrier son acte.
Car il n'était pas dupe, il savait pertinemment que personne ne survivait à trois balles de calibre 44 à bout portant, même immédiatement opéré par un médecin ; mais Joshua avait besoin d'espoir, et lui de ne pas l'avoir dans les pattes...

   Arrivé dans une ruelle moins peuplée, il jeta rapidement un coup d'œil au magasin de l'arme de son mentor.

   Une seule balle, constata-t-il.

Il pensait déjà au choix qu'il allait devoir accomplir, qui tenter de tuer ? Le grand qui semblait plus dangereux, mais qui avait une arme plus lente à dégainer ? Ou l'italien, qui semblait faible mais armé de deux revolvers ?
Et s'il ne touchait aucun des deux ?
C'était un sacré problème...

   Il n'y a pas de problèmes, Dan, il n'y a que des solutions. Me fais tu confiance ?

   Le retour de ses hallucinations auditives, ou, comme il l'appelait, de la petite voix. Toujours dans les pires moments n'est-ce pas ?
Mais quelque chose lui soufflait de faire confiance à ce démon intérieur, quelqu'il soit...

Il referma le barillet, réarma le chien, et cacha à nouveau son arme sous sa chemise.

   Bien, Dan, maintenant, il faut trouver ces deux enflures !

Le garçon regarda autour de lui, et sourit en apercevant une pile de caisses en bois, contre le mur d'un saloon.
Il grimpa sur la plus haute, afin d'avoir une vue plongeante sur la foule.

   Bingo !

   Les deux bandits essayaient de fuir la ville, se cachant derrière leur chapeau et leur foulard, à contresens de la marée humaine qui affluait vers les lieux du crime. L'un derrière l'autre, ils pressaient le pas. D'ici quelques instants, ils arriveraient à la hauteur du petit Dan.

   Celui-ci sauta de sa caisse et marcha tranquillement vers le milieu de la rue.
Il ne prêtait pas attention au chahut environnant, ni aux bousculades des passants.
Il les attendait.
Son sourire s'agrandissait au fur et à mesure que son objectif et sa vengeance se rapprochaient...

***

   Vasco était encore troublé par son face à face avec l'enfant. Il avait ressenti un je-ne-sais-quoi de troublant dans son regard, une nuance plus sombre que les autres dans ses pupilles, un profondeur intense dans laquelle il se noyait.

Il n'en avait pas parlé à Toni. Il l'aurait pris pour un lâche.
Toni, c'était son modèle, depuis tout petit. Il l'avait suivi dans toutes ses entreprises, admirant son courage et ses réflexes.
C'était lui qui avait tué l'homme qui avait failli leur tirer dessus tout à l'heure.
Il était toujours fier, la tête haute. Il se sentait en sécurité à ses côtés. Lui n'avait sûrement pas eu peur de ce gosse...
Quelle matinée éprouvante !

   Il espérait ne plus jamais recroiser de personnages aussi glaçants que cet enfant... il frissonnait rien que d'y repenser !
Sa mama lui disait toujours que les yeux étaient le reflet de l'âme... Si c'était vrai, alors cet enfant était un démon !

D'ailleurs, celui qui se tenait debout au milieu de la rue, face à eux, ne lui ressemblait-il pas un peu ?

***

Le sourire du petit Dan s'était transformé en un rictus carnassier à l'approche de ses cibles.
Son revolver était encore caché sous le pan de sa chemise, et il dévisageait l'italien et son complice.

Il voulait qu'ils le voient avant de mourir, que la dernière image qu'ils aient de ce monde soit la sienne.
Celle de leur meurtrier.
Il leur offrit son regard le plus glaçant, et sortit lentement son arme.

Un rayon de soleil se refléta dans le métal argenté, éblouissant légèrement Toni. Son expression, il y a quelques instants si fière et supérieure, venait de se transformer en un visage de terreur incontrôlée.
Il sentait toute l'aura diabolique de cet enfant, sa prestance presque surnaturelle.

Il tenta de prendre sa carabine dans un dernier espoir de survie.

Trop tard.

Le blond leva son arme dans le prolongement de son bras et de son œil, visa en une fraction de seconde et pressa la détente.

En un instant, un ressort se détendit, la poudre explosa et la balle métallique fut expulsée du canon dans un panache de flammes et de fumée.
Elle se dirigea vers la poitrine de Toni, traversa sa cage thoracique et son cœur, ressortit de son dos avant d'aller finir sa course dans la boîte crânienne de son complice.

Les deux corps tombèrent, le visage contre la terre. Un petit filet de sang s'écoulait lentement, se mélangeant à la poussière de la rue.

Morts.

Une balle, deux cadavres.

Après ça, le silence tomba comme une chape de plomb sur la ville. Seul un corbeau effrayé prenant son envol dans un froissement de plumes permettait de savoir que le temps ne s'était pas figé.

Personne ne bougeait, personne ne parlait, les regards tournés vers cet enfant qui tenait son arme comme une partie de lui-même, et partout l'odeur de la poudre et du sang.

Le blond rangea son revolver vide derrière sa ceinture, et s'approcha des deux cadavres.

La foule s'écarta devant lui, telle la Mer Rouge devant Moïse.

Lui qui était transparent tout à l'heure, il était maintenant au centre des attentions.
Lui qui n'était qu'un enfant parlant la bouche pleine, il marchait maintenant droit devant lui, grandi par l'aura éblouissante qui émanait de son être tout entier.
Lui qui courrait pour engloutir son petit déjeuner, Il s'avançait maintenant lentement, comme l'allégorie de la Justice, comme le souffle Divin qui avait le pouvoir de punir les mortels.

Non, ce n'était plus un enfant, ce n'était plus même un homme.

C'était une légende qui venait de naître...

Il marcha jusqu'à l'écurie, jeta un dernier coup d'œil au corps Marcus autour duquel le médecin s'affairait sans espoir, essuya une petite larme sur sa joue, rassembla ses affaires et enfourcha la monture du défunt.

Puis il sortit, d'abord de l'étable, ensuite de la ville, n'accordant même pas un regard à la foule qui s'écartait pour le laissait passer.

Durant plusieurs heures, il galopa, droit devant lui à travers les plaines et les forêts, sous le soleil à son zénith.

Quand il s'estima assez loin, il s'arrêta.

Il avait huit ans, il avait tué pour la deuxième fois de sa vie, et il voulait simplement être seul.

Wild WestOù les histoires vivent. Découvrez maintenant