Allongé sur le lit de mon enfance, je fixe le plafond en y faisant rebondir une vieille balle de tennis. C'est toujours étrange de me retrouver chez mes parents. Je ne sais même plus à quand remonte la dernière fois que j'ai dormi là, puisque j'ai pris mon indépendance il y a de nombreuses années déjà.
À vrai dire, je ne me souviens même plus à quand remonte la dernière fois que j'ai simplement mis les pieds ici. C'est probablement l'origine de mes problèmes : j'ai oublié d'où je venais, négligeant de fait ceux qui s'intéressent réellement à moi. Ceux qui m'aiment sincèrement.
Je ferme les yeux un instant et me concentre sur ma respiration pour tenter de calmer mon anxiété mais rien n'y fait : la culpabilité et la honte me rongent. Alors, je reprends mes lancers de balle, histoire de focaliser mon attention sur un geste automatique pour oublier, l'espace d'un instant, le chaos qu'est devenue ma vie.
Depuis que leur taxi a fait demi-tour pour venir me chercher hier soir, avant de nous déposer directement à l'aéroport, je n'ai toujours pas adressé la parole à mes parents. Nous avons pris le premier avion disponible et j'ai dormi quasiment durant tout le trajet. Mon organisme devait avoir besoin d'éliminer tout un tas de merdes. Et pour être totalement honnête, j'ai trop honte pour affronter leurs regards une fois encore.
Ils ont un fils riche et célèbre, ils devraient être heureux pour moi, non ? Foutaise ! Je sais très bien qu'ils n'en ont rien à foutre, que ce n'est pas ce qui leur importe. Il fallait voir leur tête lorsque j'ai voulu leur acheter une maison immense dans l'un des quartiers les plus chics de la ville, quand j'ai touché mes premiers gros cachets.
Ils m'ont rétorqué que je trouverais sûrement quelque chose de plus utile à faire avec mon argent s'il me brûlait les doigts. Du coup, j'ai remboursé le prêt étudiant d'Hope et j'ai payé la suite de ses études, ce qui lui a permis d'arrêter son petit boulot de serveuse au restau du coin. Et je me suis offert un énorme quatre-quatre aux vitres teintées. Même si je n'avais même pas encore le permis...
On tape à ma porte, qui s'ouvre avant que je dise quoi que ce soit. Je n'aurais pas répondu par l'affirmative de toute façon. Sans se préoccuper de mes états d'âme, ma sœur entre. Elle tente tant bien que mal de masquer sa colère et sa déception, mais je ne suis pas dupe.
— Salut.
— Hmmm...
— Tiens, je me suis dit que tu aurais besoin d'un peu d'aspirine.
— Les parents t'ont appelée en renfort ?
Elle ferme la porte derrière elle et s'y adosse après avoir posé sur le bureau tout ce qu'elle avait dans les mains.
— Ne sois pas si sarcastique. Ils m'ont appelée parce que tu ne vas pas bien. Et parce que tu ne leur parles plus. À moi non plus, soit dit en passant.
— Qu'est-ce qu'ils t'ont raconté ?
— Tu veux parler des filles à moitié nues, des cadavres de bouteilles, ou des lignes de poudre ? À moins que tu ne veuilles m'expliquer pourquoi tu ne tenais plus debout à peine vingt minutes après la fin de ton concert ? Apparemment, tes potes étaient au moins dans le même état que toi, à rire connement, les pupilles dilatées.
Hope me toise durement, les bras croisés sur la poitrine. Elle semble attendre une réaction de ma part, mais que puis-je répondre à ça ? Rien n'est plus vrai. Je me contente de fixer ma balle et de tenter à tout prix d'éviter son regard. Elle reprend.
— Mais ce qui les inquiète encore plus, c'est que votre agent avait l'air au courant parce qu'il a tenté de les dissuader de te voir. Ça, ça les rend dingue, tu n'as pas idée ! Cet homme est censé prendre soin de vous, Jamie !
— C'est bon, je n'ai pas besoin de ton baratin de grande sœur moralisatrice. Tu n'as jamais fait la fête, peut-être ?
— Pas au point d'appeler les parents en pleurs en réalisant à quel point je suis défoncée.
Ils lui ont raconté ça aussi... Je détourne les yeux et recommence à lancer ma balle. Face à mon apathie, ma sœur s'énerve franchement.
— Putain, ouvre les yeux ! Oui, tu es riche et célèbre, et tant mieux pour toi ! Et je suppose que ça doit être difficile de garder les pieds sur terre quand un tas de groupies te sautent dessus en permanence. Mais on sait tous les deux que tu cherches seulement à oublier ton chagrin d'amour et provoquer sa jalousie.
Percé à jour, je hausse les épaules avec dédain.
— C'est bon, ne me regarde pas comme ça, poursuit Hope. Je te connais. Ce n'est pas parce que tu ne me dis plus rien et que tu ne me fais plus assez confiance pour me parler ouvertement de cette histoire que je ne vois rien. Ne gaspille pas ton énergie à essayer de mentir. Je sais que depuis que vous ne vivez plus tous ensemble dans cette foutue baraque, tu as le cœur brisé. Quoi ? Pas la peine de hausser les épaules : c'est écrit sur ta figure ! Tu nous crois assez débiles pour penser que tu es mal seulement parce que tu n'es plus en coloc avec cette bande d'alcooliques à moitié drogués ? Je pensais simplement que tu finirais par vouloir te confier à moi, comme avant. Mais là, ça devient n'importe quoi ! Tu te vois où, dans dix ans ? Hein ? Il ne faut pas te leurrer, le vent va tourner. Vos Dreamers vont vieillir et se lasser de votre boys band. Si avant ça on ne vous retrouve pas morts dans un hôtel je ne sais où, victimes d'une overdose de merdes gracieusement offertes par votre manager.
À bout de souffle, les poings sur les hanches, elle marque une pause en me regardant de haut, comme si j'étais un moins que rien. Je suis une star moi, merde !
— Quand on parle du loup... Il te siffle, dit-elle en désignant mon téléphone qui vibre au moins pour la trentième fois sur mon vieux bureau. Il m'a appelée aussi. Comme tes « frères » d'ailleurs. Ils m'ont tous appelée.
Penaud, je rentre la tête dans les épaules en fixant la balle que je fais maintenant tourner entre mes doigts. En évitant toujours son regard, je demande :
— Tu leur as répondu ?
Je sens ses yeux pleins de reproches posés sur moi. Pourtant, du coin de l'œil, je vois ses épaules se détendre. Elle souffle en secouant la tête puis s'assoit au bout de mon lit. Adoucie, elle reprend plus calmement :
— J'ai seulement rappelé Ed pour lui dire que tu étais ici et que tu allais à peu près bien. Lui au moins, quand il est sobre, il a un peu plus de jugeote que le reste de la bande.
Elle n'a pas tort. Peut-être parce que c'est le plus âgé d'entre nous. Avec ses trois ans de plus que moi, il s'est toujours comporté en grand frère. À moins que ce soit dans son tempérament d'être plus posé que nous autres. Hope m'observe toujours, désolée.
— D'après lui, Will est furax. Il va faire savoir via votre attaché de presse que tu es souffrant et que tu te reposes dans ta famille pour un temps indéterminé, mais il veut te virer.
Rien d'étonnant. Plutôt que de chercher à comprendre ce qu'il m'arrive, il vaut mieux m'éloigner. Après tout, c'est peut-être ce qu'il voulait en encourageant cette brouille entre Keith et moi.
— Parle-moi, Jamie... Tu te confiais à moi avant... ça. Quand tu te comportais encore comme mon frère.
Je crois déceler un mélange de peine et de pitié dans le regard de ma sœur. Je suis tombé si bas ? Non, putain ! On m'acclame presque chaque soir dans des stades pleins à craquer ! Je ne fais pas pitié ! Je détourne la tête et me concentre à nouveau sur ma balle qui tape le plafond au rythme d'un métronome.
Face à mon mutisme, elle se lève et me tend le verre d'eau et les deux comprimés d'aspirine qu'elle avait laissés sur le bureau, puis elle se dirige vers la porte. Avant de sortir, elle me lance une boîte de chewing-gums qu'elle sort de sa poche et le paquet emballé dans du papier brillant avec lequel elle est arrivée. Sarcastique, elle déclare :
— Au fait, joyeux anniversaire, Popstar.
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Tout pour être heureux (Disponible en epub et broché !)
General FictionA-t-on le droit d'être triste si l'on a tout pour être heureux ? L'amitié qui va naître entre deux êtres tourmentés peut-elle les sauver ? Lyse et Jamie ne se connaissent pas. Et pour cause : ils évoluent dans deux mondes différents. Lui est...