Ce que tu es poussiéreux mon vieux. Bon je suppose que c'est un peu de mon fait, ça fait quelques mois maintenant que je t'ai lâchement abandonné dans mon atelier, entre deux pots de peinture, sur le plan de travail. J'ai été... occupé en quelque sorte. Disons plutôt que j'ai été pris par le cours de la vie et que je n'ai pas pris le temps de te reprendre pour t'écrire. Je n'en avais pas particulièrement envie non plus.

T'avoir là, étalé avec tes pages blanches, ça me donne envie de te noircir. J'ai l'impression d'être devant un miroir qu'il faut que je cache. Ouais, ça m'arrive de temps à autres, de plus supporter mon reflet et c'est un peu ce que tu es. Mais au lieu de simplement me ressembler, tu portes mes mots, ils s'étalent peu à peu, t'envahissent. Et comment tu seras à la fin ? Quand je t'aurais terminé ? Rempli de moi ?

Déjà, la couverture est toute tachée (de peinture gros dégueulasse, pense pas à autre chose) et ça te fait ressembler à un arc-en-ciel. Plutôt trompeur comme apparence, surtout quand on sait ce que je couche au fil des lignes.

Quoi, j'évite le sujet ? Pourquoi j'étais pas là ? J'ai déjà répondu, non ? Comment ça, c'est pas suffisant ?

Bon. Je n'ai pas seulement été pris par le cours de la vie, arrêtons les conneries deux secondes, j'ai seulement arrêté de faire des efforts pour me mêler au commun des mortels. Comment ça, c'est une mauvaise idée ? Mon moral est remonté, personne n'est là pour le descendre et j'entretiens le minimum syndical avec le reste du monde : tout va pour le mieux. Sérieusement, à quoi ça sert, si on y réfléchit deux secondes, de se forcer ?

J'ai plus envie. J'ai plus envie de me forcer, de devoir rentrer dans un costume trop petit, qui me compresse et m'empêche de respirer.

Là, je peux simplement être comme je suis. Puis je ne suis pas vraiment tout seul, Harrison est là aussi.

Ah, c'est vrai, je t'en ai jamais parlé. Harry, c'est mon fils, la lumière de ma vie. Et avant que tu décroches le téléphone pour appeler les services sociaux pour je ne sais quelle raison, écoute-moi deux minutes. Oui c'est mon fils, non pas biologiquement parlant, oui je l'ai adopté, non pas quand j'étais au plus bas. Enfin presque.

C'est en l'accueillant chez moi que j'ai pris conscience de la vie que je menais, que les démons que je me détruisait à côtoyer n'étaient pas bons pour moi, pour ce petit être non plus. Il avait cinq ans et était si petit qu'on aurait dit un bambin de trois ans. Aujourd'hui aussi, il fait toujours plus petit, plus frêle et plus fragile que son âge. C'est un gamin silencieux, qui à peur de l'abandon, même après deux ans de vie commune. Il a besoin d'être rassuré, n'aime pas les inconnus et les grands espaces ouverts.

L'orphelinat ne savait pas trop ce qu'il à vécu avant d'atterrir chez eux, mais reste que cela l'a beaucoup marqué. Heureusement, avec moi et ses oncles, il n'est plus du tout timide, bien au contraire. Il rit de bon coeur, fait des bêtises, comme tous les enfants.

C'est un gamin sensible et curieux, qui adore dessiner, mais je crois que c'est parce qu'il m'a vu peindre dès le début, qu'il veut faire comme moi et c'est adorable. Depuis la rentrée, je l'ai inscrit au violon, j'ai remarqué qu'il aimait beaucoup le son de cet instrument et ça le met en joie d'apprendre, même le solfège. Je serais bien infoutu de lire une partition et ça m'impressionne qu'il sache déjà le faire à un si jeune âge.

Ça me fait beaucoup rire lorsqu'il me reprend alors que je les lit à voix haute et que je rate une note. Il a ce froncement de nez et cette petite moue un rien fâchée qui lui donne une bouille tout simplement adorable.

Aussi, il adore les câlins. C'est quelque chose que j'ai découvert très tôt après l'avoir eu avec moi. Comme un bébé avec sa mère, Harry et moi avons fait du peau à peau, bien qu'il ai passé l'âge. C'est le seul moyen qui fonctionne lorsqu'il fait des terreurs nocturnes. Ça n'arrive pas souvent, mais lorsque c'est le cas, le contact franc le rassure plus que tout ce que je pourrais inventer. Sa petite tête se pose sur mon torse, l'oreille collée contre mon coeur pendant que je le sers dans mes bras et que je caresse son dos. Nous parlons beaucoup tous les deux, je fais de mon mieux pour apporter des réponses à ses questions, calmer ses craintes et ses insécurités, je l'encourage.

En public, c'est assez différent toutefois. Nous avons développé un langage plus muet, fait de petits gestes et de jeux de regards.

Je l'ai déjà dit, mais Harrison est très introverti avec les inconnus, c'est toujours une longue préparation pour l'emmener dans un nouvel endroit.

A vrai dire, je suis toujours plus ou moins surpris lorsque mon frère aîné vient le chercher pour dormir chez lui. Il adore Lucy (Lucifer, ouais c'est une longue histoire, je vous raconte ça au prochain épisode) et l'amour est réciproque. Je ne peux que comprendre pourquoi, ayant été élevé par lui, Lucy à toujours fait plus oeuvre de figure paternelle à mes yeux, plutôt qu'un simple lien fraternel. Il a cette aura rassurante qui nous fait immédiatement sentir protégé lorsqu'il se tient à nos côtés.

Wow, j'ai carrément dérapé là.

Je suppose que c'est ce qu'il se passe quand j'écris quand je suis "bien". Je parle de ce qui me rends heureux. Allez, comme tu as été bien sage, la prochaine fois, je vais te raconter un peu ma famille et crois-moi, t'es pas prêt.

Le Journal Public Du BorderlineWhere stories live. Discover now