Prologue

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L'orage grondait cette nuit-là. Les éléments déchaînés foudroyaient le ciel, lui donnant des teintes noires menaçantes. La colère des cieux frappait le monde endormi. Il régnait dans l'air une odeur de trahison et de mort.

Enfermé dans son usine, Leah se rongeait vivement l'ongle du pouce. Ses frères venaient le chercher pour le punir. La pluie, qui martelait la carapace métallique de son engin volant, chantait le désarroi de sa famille. Recroquevillé sous son bureau de bois, le jeune homme regardait impuissant ses papiers rejoindre le sol en une symphonie froissée, renversés par les bourrasques froides qui heurtaient les murs de sa demeure. Les princes du royaumes célestes étaient en colère. Il pouvait le comprendre. 

Bien que la peur lui rongeait furieusement le ventre, Leah décida d'agir. Il ne regrettait rien, ni ce qu'il avait fait il y avait deux nuits, ni le sang qui tachait encore ses mains pâles et, cela, malgré les ombres qui le poursuivaient et la douleur qui lui tordait le cœur. 

Le jeune homme sortit lentement de sous le bureau. Son usine grinçait, criait au secours sous les coups que lui portait le ciel. Inspirant avec force, Leah lança un regard inquiet par la fenêtre brisée, puis se jeta en avant. Le sol s'inclina brusquement, le faisant glisser et percuter de tout son corps l'un des murs. Se relevant aussitôt, le jeune prince ignora la douleur qui lui brûlait les genoux et les coudes. Il savait que ses heures étaient comptées. Le vent, la pluie, la tempête, le froid et même les lueurs du crépuscule s'étaient opposées à lui. Il ne pourrait pas gagner cette bataille. La fuite était son seul salut. 

D'un geste brusque, Leah ouvrit la porte de fer. Un courant d'air glacial l'entoura vivement, le faisant frissonner. Scrutant l'immense couloir qui s'ouvrait devant lui, le jeune homme poussa un petit cri de stupeur lorsqu'une ombre se dessina dans l'obscurité. Elle s'avança lentement, avec une grâce et une légèreté effrayante. Le prince la laissa approcher, puis il tira son poignard de sa ceinture. L'intrus s'arrêta. Au creux de sa main, Leah fit surgir une boule de lumière rosée pour éclairer l'espace autour de lui et soupira : ce n'était qu'un chat. 

Avec une moue soulagée, il rangea son arme et se retint de justesse pour ne pas perdre l'équilibre. L'usine volante pencha dangereusement à droite, entrainant avec elle tous ceux qui l'habitaient. Le chat, qui s'était sagement assis, glissa contre le mur sans quitter le prince de ses yeux bleus. Il semblait vouloir lui dire quelque chose, mais Leah haussa les épaules et lui adressa un regard noir. Il détestait les chats.

Après quelques instants de silence, à écouter le vent et la pluie hurler, le prince secoua doucement la tête. Ce n'était pas le moment de flancher, il avait une fuite à préparer. S'accrochant au placard qui côtoyait la porte, le jeune homme l'ouvrit brutalement et attrapa une longue canne noire. Puis, en s'aidant d'une secousse de l'usine, il se propulsa en avant pour courir dans l'immense couloir. L'engin volant pencha furieusement à gauche, mais Leah réussit à garder son équilibre, l'épaule collée contre le mur métallique. Il attendit, le cœur battant. Cependant, cette fois-ci, sa demeure ne se releva pas. Pire, le vent, qui ne cessait de souffler, la fit basculer complètement sur le côté. Le vacarme des meubles et des objets qui s'effondraient dans les pièces voisines résonnèrent à travers tout le bâtiment. Leah fronça les sourcils, ils étaient en train de détruire sa maison, la seule chose qu'il possédait vraiment en ce monde. 

Écrasé contre la paroi glacée, il s'y retrouva allongé, perplexe et désolé pour sa pauvre demeure, comme pour ceux qui y laisserait leur peau. Derrière lui, le bruit des griffes du chat contre le métal l'alerta. Pourquoi cet animal le suivait-il ? Et puis, qu'est-ce qu'un chat faisait-il ici ? Secouant vivement la tête, le jeune prince se força à reprendre ses esprits : cela n'avait pas d'importance. 

Sans laisser le temps à l'animal de le rejoindre, Leah se releva. Debout en équilibre sur le mur de son couloir, il serra dans son poing la barre de fer, faisant prendre à l'extrémité de sa canne des teintes orange. Il ferma les yeux et dans son esprit, les images des nuages noirs déversant toutes leur peine et leur colère contre l'usine, apparurent. Il grinça des dents. Il n'aimait pas que ses nuages prennent de telles couleurs. 

Le Monde Flottant [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant