Chapitre 14

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Eida ne se fit pas attendre et sortit rapidement de la salle de bain, accompagnée par une épaisse vapeur. Elle avait démêlé ses cheveux, bien plus longs qu'ils ne le laissait paraître. Sa peau, rougie par la chaleur de l'eau, paraissait écarlate, tranchée par la blancheur de la longue robe qu'elle avait enfilée.

Il était étrange de la voir ainsi. En la regardant, Jenna hésitait entre la petite fille sage et la femme d'une beauté austère. Pour éviter d'avoir à choisir, le jeune homme s'éclipsa dans la salle d'eau, Timothée sur ses talons.

Avec un soupire las, Eida s'allongea à sa place et ferma les yeux. Elle avait soigné sa peau de ces contacts qui la révulsait. Elle se si sentait bien qu'elle s'endormit.

Apaisé par l'eau encore chaude du bain, Jenna se demandait comment il avait réussi à rentrer dans la baignoire. Plongé jusqu'au menton dans le bain, ses grandes jambes repliées contre sa poitrine, il se sentait un peu à l'étroit.

Sa peau pâle déjà colorée par la chaleur, il sentait ses muscles se relâcher lentement. Une odeur de fleur, légèrement acide, flottait dans la pièce. Il avait déjà senti ce parfum et, alors qu'il cherchait où, l'image d'Eida allongée près de lui lorsqu'il s'était réveillé après la chute lui frappa l'esprit.

– C'est son odeur, murmura-t-il sans se rendre compte qu'il l'avait dit à voix haute.

– Normal, tu es dans son bain.

Jenna foudroya l'animal du regard. Assis sur la petite chaise bancale, à côté de la baignoire, Timothée l'observait, un air farouche fixé sur sa figure poilu. Il s'était glissé dans la salle d'eau avant que le jeune homme ne puisse le rattrapé. Fatigué, il avait décidé de l'ignorer, jusqu'à ce que celui-ci ose lui répondre.

– Ça ne te gêne pas de m'observer pendant que je me lave, sale pervers !

– Oh ! Tu sais, tu n'es pas une créature de rêve ! ricana l'animal.

Le jeune homme se redressa, outré.

– Il te manque quelque chose au niveau de la poitrine, suggéra innocemment le chat.

– Je ne suis pas une femme à ce que je sache.

– Je sais bien, heureusement ! Cela n'empêche pas que tu manques de...

– Vas-y, crache le morceau !

– De poils.

Jenna se raidit brusquement, ses joues déjà rougies par la chaleur de l'eau devinrent écarlates.

– Il semblerait que la virilité t'aie oublié mon garçon.

– N'importe quoi ! s'écria-t-il en croisant les bras sur sa poitrine.

Jenna donna un coup de pied dans la chaise. Timothée sauta gracieusement sur le rebord de la baignoire, lui montrant son derrière. Déçu que l'animal se soit aussi bien rattrapé, le jeune homme s'enfonça jusqu'au menton dans l'eau tiède. Il aurait aimé noyer le chat, mais Eida n'était sûrement pas du même avis. Elle semblait malheureusement s'être attaché à lui.

– Pourriture de chat de gouttière, grommela-t-il.

Il y eu un silence tendu, puis Timothée, qui s'était assis sur le rebord de la large cuve, le fixa de son regard dilaté.

– Jenna ? dit-il, après quelques instants.

– Quoi, matou galeux ?

– Tu regrettes ce que tu as fait ?

– Qu'est-ce que tu sais ?! s'exclama le jeune homme, une violente angoisse s'imprimant sur ses traits.

– Ce qu'il faut savoir.

Ils se défièrent du regard, puis Jenna se détourna pour observer la surface de l'eau, comme perdu dans une mer de souvenirs. Une expression apaisée passa alors sur son visage et la peine vint nager dans ses yeux.

– Non, répondit-il, doucement. Si je l'ai fait, c'est pour les sauver eux. Je n'ai aucuns regrets.

Il eut un autre silence, court et glacial. Le jeune homme inspira profondément, les paupières mi-closes. Timothée crut un instant qu'il essayait de retenir ses larmes, mais Jenna reporta son attention sur lui, une lassitude que l'animal trouvait exaspérante dans la voix.

Il avait repris son air méprisant.

– Je n'aime pas en parler. Surtout avec un chat.

– Je t'en prie, je ne le prend pas pour moi.

– Tant mieux.

– Jenna ?

– Quoi, encore ?!

– Pourquoi as-tu emmené Eida ?

Jenna l'observa d'abord sans comprendre, comme s'il était sourd ou muet. Il semblait incapable de répondre, puis après une vague réflexion il haussa les épaules.

– Je ne sais pas. Je ne pouvais pas la laisser toute seule là-bas.

– Tu as pitié d'elle ?

– Pas vraiment. Elle m'a quand même sauvé la vie. J'aimerai faire quelque chose pour elle.

– Et si tu retrouves ton bâton avant son père, tu l'abandonneras ?

Jenna ne répondit pas. Timothée se contenta de son silence.

Le bain avait refroidit. S'extirpant avec difficulté de l'étroite baignoire, le jeune homme attrapa une serviette et sécha rapidement le corps, s'habillant d'un même geste. Timothée l'observait avec attention.

– Tiens, tu as un joli tatouage, fit-il remarquer.

Surpris, Jenna posa instinctivement sa main dans le bas de son dos. Il n'aimait pas cette tâche. Il aimait encore moins la montrer. Grinçant des dents, il enfila sa chemise, la dissimulant sous le tissu.

– Ce n'est pas un tatouage. C'est une marque de naissance.

– De cette couleur ?

– Faut-il te rappeler que je viens du Monde Flottant ?

L'animal poussa un grognement mécontent, puis il sortit de la salle d'eau lorsque Jenna ouvrit la porte. S'échappant rapidement, il sauta sur le lit et se blottit contre le bras d'Eida.

La jeune fille s'était endormie, les cheveux éparpillés sur le matelas, une main posée sur son ventre. Jenna sourit : la réveiller lui faisait presque de la peine. Elle semble épuisée, mais ils avaient également besoin de manger quelque chose de chaud.

L'automne s'était enfuit comme un voleur, laissant la place à un hiver froid et humide.

D'un geste doux, il se pencha vers elle et la secoua. Eida papillonna des paupières, laissant échapper une plainte fatiguée. Après s'être frotter les yeux, elle inclina la tête sur le côté, déboussolée.

– A table ? demanda Jenna.

Eida sourit.

– A table !


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