Chapitre 10

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Allongée sur le canapé, la tête posée sur l'accoudoir, Eida soupira. S'appliquant comme il le pouvait, Jenna essayait de soigner ses blessures. Il trempant un torchon dans une bassine, l'essora puis le posa délicatement sur le ventre de la jeune fille. L'eau était froide et les bleus qui marquaient sa peau prenaient d'étranges teintes jaunâtres.

Tremblante de douleur, Eida poussa un gémissement aigu. Le jeune homme retira rapidement sa main.

– Pardon ! murmura-t-il.

Eida secoua la tête. Elle observait avec attention son visage crispé par l'inquiétude. Sûrement avait-il eut pitié d'elle. Rongée par la honte, la jeune fille était aigrie. Elle ne voulait pas de son aide.

– Tu étais censé t'en aller, grogna-t-elle.

– Et te laisser seule avec cette bande de fou ? Pas question.

– Je n'ai pas besoin de toi.

Jenna lui lança un regard noir, mais elle put y lire de puissants remords. Eida se détourna avec une moue contrariée. S'il n'avait pas besoin d'elle, elle non plus ! Serrant les dents à se les briser, elle n'arrivait pas à reconnaître que s'il n'avait pas été là, elle n'aurait pas eu la force de rentrer chez elle.

– Pourquoi t'ont-ils fait ça ? demanda Jenna, en replongeant le linge dans l'eau.

Eida se renfrogna, contrariée. Elle n'avait pas l'intention de lui répondre : Jenna n'avait pas à savoir. Mais alors qu'il appliquait l'eau sur son ventre, il appuya avec insistance sur l'un de ses bleus. La jeune fille poussa un cri de douleur.

– Réponds-moi, ordonna-t-il.

– J'ai pas envie !

Jenna pressa de nouveau sa main sur sa peau.

– C'est bon ! Arrête ça ! hurla Eida.

– Pourquoi t'ont-ils fait ça ! répéta-t-il.

– Ce n'est pas la première fois. A chaque fois que mon père qui le village, ils viennent me ridiculiser. Ça les amuses, ils se croient plus fort, pour une fois...

– Ils t'ont traités de sorcière, pourquoi ?

– Tu étais là depuis le début ! Espèce de...

Le jeune homme posa sa main sur le front d'Eida et la força à le regarder en face.

– Pourquoi ?

– C'est à cause de mes yeux.

– Tes yeux ?

– Parfois, ils prennent des teintes violacées. Ils pensent que seules les sorcières ou les hérétiques peuvent posséder des iris violettes.

Jenna eut un sourire mauvais. Il la libéra puis se leva, saisissant au passage la bassine. Eida cru voir l'amertume crisper ses traits. Le jeune homme se dirigea vers la cuisine. Sans doute allait-il se moquer d'elle, de ses yeux si étranges, comme tant d'autres. Malgré cette certitude, Eida voulait le retenir, savoir ce qu'il en pensait, lui. Elle s'apprêtait à l'interpeller lorsqu'il s'arrêta dans l'encadrement de la porte. Il lui tournait le dos, mais sa voix était clair.

– Ce sont des idiots. Moi, je les trouves magnifiques tes yeux.

Un sentiment de paix l'envahit alors que le rouge colorait lentement son visage. Eida aurait voulu qu'il mente, qu'il dise cela pour lui faire plaisir, mais la sincérité qui faisait trembler sa voix l'empêcher de l'espérer. Et c'est cette honnêteté qui lui soigna le cœur.

Elle n'était plus seule. Il y avait quelqu'un, dans ce monde morne et délabré, qui aimait ses yeux. Quelqu'un qui ne faisait pas d'elle une hérétique, une pourriture, un chien errant. Une sorcière.

Sentant les larmes lui gonfler les paupières, elle s'obligea à les refouler. Assis sur la table basse du salon, Timothée l'observait depuis qu'ils étaient rentrés. Il n'avait pas dit un mot. Eida commençait à croire qu'elle avait rêvé lorsqu'elle l'avait entendu parler.

Toujours immobile sur le canapé, elle croisa son regard et elle crut le voir sourire.

– Tu devrais te reposer, dit-il finalement.

Eida sursauta. Elle ne s'y ferait jamais.

Amusée, elle tendit la main vers lui et caressa doucement sa petite tête. Il se mit à ronronner. Timothée était étrange, mais elle commençait à apprécier sa compagnie, mi-humaine, mi-animale.

Jenna réapparut dans le salon, un verre d'eau à la main. Elle l'accepta volontiers et l'avala d'un trait. Puis, alors qu'il se relevait, le jeune homme sourit.

– Timothée a raison. On part demain. Et tu viens avec nous.


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