Nouvelle - Hors de l'Eau

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HORS DE L'EAU


Il m'était essentiel de parler de l'eau, du rapport que peut avoir l'océan avec le deuil, l'acceptation de la mort ou l'ivresse d'une histoire d'amour inachevée. Comment pardonner au désir de nous avoir comblé puis déchiré ? Sur les traces du parcours de la relation entre Ludwig et vous-même, j'ai tenté d'imaginer une quête de l'acceptation, une idée de ce que peut être l'oubli, sans oublier.


C'était comme ça il y a cinq ans ? Je ne perçois qu'un souvenir de toi, de nous, ici, étendus sur cette plage. Nos mains prenaient le sable puis se retrouvaient sous la terreur des vagues qui bruissaient dans cette nuit crépusculaire. Les étoiles éclairaient nos visages accablés mais qui se souriaient d'amour. Entre deux volutes de fumée, je te criais à l'oreille qu'un cétacé allait surgir à tout moment ; il allait bondir et nous envoyer loin, sans doute nous finirions perdus dans les bras l'un de l'autre.

    J'imaginais une baleine, un bleu roi fondant dans l'électricité de nos deux corps azur sous un ciel marin qui déclencherait des éclairs turquoises, ultime spectacle de cette passion bientôt brisée.

    Désormais seul, je ne voyais rien de plus que le bruissement des vagues.

    Soudain, un coup de vent, je m'attends à voir se profiler notre baleine mais je n'ai qu'une image de gouttes d'eau dans mes cheveux, de nos deux bouches salées suintant d'émois l'un pour l'autre, couchés nus dans le sable, si attirants dans cette fusion qui nous dominait. Glousser en courant dans les vagues. Cette sensation de « duo solitaire » que tu ne cessais de me répéter au creux de l'oreille ; nos corps tremblant de froid sous ce bleu opaque que nous réchauffions en agissant comme deux animaux. C'était instinctif, libre, sans doute si violent d'évidence que l'avenir a sombré. J'étais bleu de toi et suis devenu noir de moi.

    Notre baleine à nous, c'était à la fois l'animal et la métaphore d'un îlot lointain, une prouesse si limpide perdue au milieu des flots. Lorsque tu m'éventrais de plaisir sur cette plage, je la percevais, elle se rapprochait, car elle comme moi savions que la plaisir ultime n'était plus très loin. Ultime. Ce mot me fait sourire. Il parait si fort et si plat. En vérité, le désir et l'accomplissement de te savoir près de moi se rapproche de cet adjectif. Je vois mon totem sourire au loin. Notre baleine. Comment l'avait-on appelée déjà ? Dans nos têtes, bien qu'inexistante, elle existait sans cesse dans ce coin de vie inanimé. Myosotis. Son nom de petite fleur résonne encore au creux de mon oreille qui n'entendait plus que l'eau agitée. Elle était féroce et tendre, juste comme tu étais.

    Tu faisais justice à mes émotions qui se commandaient si mal auparavant. Quand tu es parti avec elle, me laissant seul face à l'impossibilité de remettre mes pieds dans l'eau, je t'ai haï, mais désormais je te comprends. Cette vie n'était pas pour toi ; on s'était promis cet îlot mais finalement tu as touché l'utopie seul. C'est sans doute égoïste mais je trouve cette attention à toi-même conséquente de ton cœur qui battait pour moi. Je comprends que tu sois parti seul, voguant et dérivant dans ces eaux, enchaîné et te tirant vers les profondeurs.

    Ce pamphlet est, pour moi, une rédemption : l'enjeu de te pardonner ce salut me galvanise peu à peu pour finalement le comprendre et te le rendre. Myosotis ne me connaît pas, mais quelque part, elle entend ma peine et me dit que tu vas bien, qu'enfin toi tu as pu la voir. Parfois il m'arrive de penser à sa mort aussi, de la voir prise aux mains des Hommes. Ce sont eux les bêtes infâmes. Au fond, c'est sans doute mieux que je ne l'aie jamais vue. Elle vit mieux sans la compagnie des Hommes et perdure en nageant. Toi, tu étais son sauveur. Elle n'a que toi et j'en suis guéri. J'ai hâte d'apprendre à nager avec vous moi aussi, mais en attendant, je vais vivre pour nourrir notre aventure marine.

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