LONDON BREAKFAST

10. Petit Déjeuner Continental

Le petit-déjeuner continental n'avait rien de compliqué en soi. Une boisson chaude, une viennoiserie, des tartines et un jus de fruits. Ce qui rendait la chose délicate, c'était qu'il fallait TOUT faire soi-même. Pas de boîtes de purée de fruits, pas de génoise industrielle, pas de bidons de blancs d'œuf déjà séparés des jaunes.

Immédiatement après le top départ, je me ruai en premier vers le cellier où les ingrédients étaient entreposés pour m'emparer de ce dont j'allais avoir besoin. Alors qu'une vague de candidats en quête de fève tonka et de citron yuzu affluait sur les réserves, je retournai déjà à ma place pour commencer mes préparations. Je savais déjà tout ce que j'allais faire, depuis la seconde où Redwood avait annoncé les deux plats qu'il faudrait présenter.

Je savais que la reine et son époux étaient d'une santé fragile, et il me fallait donc proposer un petit-déjeuner équilibré, peu gras et peu sucré pour correspondre à leurs besoins. J'allais préparer des pancakes de seigle avec une pâte au thé noir d'Assam en torréfiant les feuilles à la poêle avant de verser la pâte, que je garnirais de baies de myrtille à mi-cuisson pour ne pas qu'elles changent le goût du thé, puis je ferai un peu de crème à la pivoine pour présenter avec les pancakes.

J'avais l'intention d'accompagner ce petit-déjeuner copieux d'un jus de framboises-myrtille avec des feuilles de menthe. Ma viennoiserie serait forcément au thé d'Assam, et je choisissais d'en révéler toute la force avec une crème pâtissière à base uniquement de jaunes d'œufs dans un roulé en pâte feuilletée. Heureusement pour moi, je n'avais pas à faire le feuilletage moi-même, John Redwood ayant eu la prévenance de préparer tout type de pâte poussée ou levée à l'avance pour les candidats.

J'avais vu plusieurs concurrents se ruer sur le pamplemousse en pensant certainement aux accords entre thé noir et agrumes, sans penser un seul instant aux dangers de ce fruit pour la famille royale. Le pamplemousse était interdit pour les cardiaques et toutes autres personnes prenant certains médicaments pour la tension, puisqu'il pouvait en annuler les effets. Utiliser du pamplemousse dans la cuisine de Buckingham pour la reine pouvait donc être considéré comme une tentative de régicide. Non sans un peu de satisfaction mesquine, je me dis que ces concurrents étaient déjà hors-jeu.

Alors que certains s'affairaient à la préparation du petit-déjeuner, je me concentrais immédiatement sur le dessert tout en préparant ma crème pâtissière.

Je n'avais toujours pas d'idée pour le dessert. Je voyais les autres participants se ruer sur de grands moules à gâteaux. Ils allaient essayer de cuire le thé ou de l'incorporer à des crèmes sur des bases de gâteaux aux fruits. Entremets, pâtes cuites, tout était possible.

Alors que je me perdais dans mes réflexions, mon regard croisa soudainement celui de Mr Malhotra. Il venait de retirer ses lunettes et ses grands yeux bruns étaient rivés sur moi. Il haussa les sourcils en faisant la moue, comme pour se moquer de moi, me faisant signe de me remettre au travail. Je le foudroyai du regard d'un air de défi avant de me reconcentrer sur ma crème pâtissière.

Mais quel sale... Quel sale type ! Il ne s'agissait plus seulement de gagner cette compétition pour passer en final, je devais aussi en mettre plein la vue à ce prétentieux, dans les règles de l'art. Je devais lui prouver que son thé, j'en faisais ce que je voulais, que je pouvais en faire une œuvre d'art si j'en avais envie, mais que je pouvais aussi le faire avec n'importe quel autre ingrédient.

Je regardai mon sirop de pivoines. J'avais eu tort de penser que je devais être reconnaissance pour l'idée qu'il m'avait donnée avec son bouquet de fleurs. Je ne devais cette trouvaille qu'à ma créativité, et il était temps de lui renvoyer ses fleurs en pleine face. Il me fallait quelque chose de... clinquant. De bling-bling.