Chapitre V.

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"Selon que vous êtes puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir." - Jean de La Fontaine

**Le pouvoir humain (la Cour) prolonge l'état de nature : il fait régner la force (la puissance) sous l'apparence de la justice et ne corrige pas l'inégalité naturelle. "Blanc" et "noir" désignent respectivement l'innocence et la culpabilité.

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Nous étions une bonne quinzaine à écouter le charabia du bourreau, qui circulait dans l'allée libre. Chaque fille se tenait droite avec le visage neutre. Nous étions mélangées entre les anciennes et les nouvelles, cela nous permettrait d'« apprendre plus rapidement les manières » selon les hommes.

Eh bien ça marchait, les filles copiaient soigneusement les autres.

— le monde n'était que Chaos. Jusqu'à aujourd'hui. Notre gouvernement est bon, les faibles deviendront encore plus faibles, ils n'existeront plus. Les forts triompheront.

C'était faux. Tout le monde le savait et surtout nous, les confesseurs. On ne voulait pas devenir des machines, mais on n'avait pas le choix. Le libre-arbitre n'existait plus réellement, bien que le gouvernement ne cessât de répéter que c'était pour notre bien.

— Pour que la paix dure entre nos deux sexes, pour que la race humaine continue de perdurer aux files des siècles. Nous devons faire des sacrifices. Ces sacrifices sont bons. Alors je le dis les confesseurs. Notre gouvernement est bon.

Je fermai les yeux. En chœur, telles des machines, nous dictions :

— Le gouvernement est bon. Les forts triompheront pour écraser les faibles.

C'était notre dicton. Enfin, plutôt le leur. La première fois qu'il nous a été appris cette phrase, personne n'osait la dire car on savait que c'était mal, mais finalement au bout de quelques jours, c'est rentrée comme une poésie que l'on apprend par cœur pour l'école.

Le rituel était simple. Le réveil était tôt, 7 heures. On commençait par une leçon de manière, à chaque faux pas on devait répéter les règles de confesseurs, si on se trompait on part à la douche chaude. Evidemment, personne ne nous les a dits, on a dû les apprendre par nous-mêmes. Pour éviter de souffrir, la plupart des filles soufflaient ce qu'il fallait dire aux autres. J'ai évité la douche chaude en passant la dernière. Les anciennes les répétaient à tue-tête et à force de les entendre, c'est vite ancré.

— Vous avez été sélectionnées pour votre beauté, pour votre vulnérabilité. Les hommes aiment les femmes sans caractères. Muette. Un corps fin et parfait vous a été donné. Saisissez l'opportunité qui vous a été offerte.

A 10 heures, ils nous faisaient courir 20km, sans nous arrêter pour nous endurer. Si on avait le malheur de nous stopper pour nous reposer, un homme arrivait avec un fouet et nous claquait le dos pour nous faire avancer. Il n'était jamais loin, toujours prêt à surgir.

On mangeait en silence la plupart du temps car personne n'osait lancer la conversation. A 14 heures, on était enfermées dans des salles. 5 filles autours d'une table avec un ordinateur devant nous, des écouteurs sur les oreilles. Ils nous faisaient regarder des choses autour du plaisir. Une fois, une fille a tourné le regard, elle ne devait même pas avoir 18 ans. L'homme qui nous surveillait a remis sa tête droite pour qu'elle continue de regarder. Personne n'a bronché, je l'ai seulement regardé trembler et fermé les yeux par embarras.

Ils nous apprenaient à rester docile, à savoir de quelle manière faire plaisir à un homme et je n'étais pas encore prête à ça.

On était habillé simplement. Comme dans une école militaire mais de manière féminine. Une jupe. Un haut gris. On devait toutes avoir les cheveux attachés et savoir nous maquiller.

L'égaréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant