02 - Les premières fêlures

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Quand j'ai craqué, j'avais à peu près tout pour réussir : un poste de manager dans le service après-vente d'une entreprise vendant ses produits aux 4 coins du globe, un logement plutôt sympa, une compagne depuis plusieurs années. Ma protection me permettait d'encaisser les problèmes qui remontaient du terrain, la non-volonté de prêter l'oreille à mes craintes concernant la fiabilité d'un nouveau produit par mes responsables et je ne comptais plus mes heures au bureau pour tout gérer. A ce moment-là, j'avais trouvé refuge dans le monde du jeu vidéo en ligne, le MMORPG (jeu de rôle massivement multi joueur), c'était devenu pour moi le moyen de gérer la réalité...m'évader dans un univers fantasque, y retrouver des amis, me perdre des heures durant dans un monde qui m'apportait plus que la réalité...le virtuel me plaisait plus que le réel, à bien des niveaux ! Et puis ma compagne jouait aussi, donc nous étions ensemble par l'intermédiaire d'écrans d'ordinateurs...les sessions de jeu se sont terminées parfois alors que le soleil se levait, nous avons même passé nos vacances à la maison, pour jouer, encore et encore...

Alors non, vous ne trouverez pas en moi un détracteur des jeux-vidéos ! Je reste un grand fan des jeux-vidéos mais j'ai pris mes distances. Même les jeux en ligne proposent des expériences magiques mais il faut faire attention, la différence entre « plaisir » et « addiction » est très mince et s'il est possible de tomber du « mauvais côté », en ressortir est très difficile. En-fait, comme pour beaucoup de choses dans la vie, il suffit de vraiment pas grand-chose pour tomber dans une situation extrême et je n'ai pas peur de dire que pour moi, à ce moment-là, ce très fameux et très connu MMORPG était devenu une sorte de drogue, un besoin quasi viscéral d'y passer plusieurs heures chaque jour.

A vrai dire, quand j'ai craqué je n'ai rien compris. Mon corps m'envoyait des signaux d'alerte depuis un petit moment mais je les ignorais, pour moi il s'agissait de choses totalement séparées. Parce que oui, j'ai maintenant la certitude que le corps est un formidable outil, très révélateur de notre état, de nos états d'âme, de nos incertitudes, etc.
D'ailleurs, ne dit-on pas en avoir plein le dos quand une situation nous pèse ? Je l'ai vécu très intensément au cours de ma dégringolade et ce n'est que bien après que j'ai réalisé. En fait, ça a commencé avec des petites grippes passagères à répétition, moi qui ne suis quasiment jamais malade. Et là, il suffisait que je croise la route d'un virus pour qu'il m'adore immédiatement.
Mais je n'y ai pas prêté attention.

Puis j'ai commencé à ressentir des douleurs dans les articulations, le bas de mon dos était régulièrement et facilement endolori.
Mais je n'y ai pas prêté attention.

Un soir, alors que je me douchais, j'ai remarqué une « boule » à l'intérieur de l'une de mes cuisses. En y regardant de plus près, j'ai remarqué que j'avais une sorte d'excroissance qui était apparue du jour au lendemain, faisant quelque chose comme deux centimètres de long pour un centimètre de large et bien cinq millimètres d'épaisseur. Par peur d'une tumeur, j'ai filé aux urgences, l'excroissance a été retirée pour partir en biopsie et les résultats ont révélé qu'il s'agissait d'un amas de chair autour de quelques vaisseaux sanguins, rien de grave en somme. Sur le coup ça m'a un peu « secoué ».
Mais je n'y ai rapidement plus prêté attention.

J'avais également des douleurs quasiment permanentes dans la jambe droite, mais je repensais à l'accident de moto que j'avais eu quelques années auparavant et cela m'arrangeait bien de pouvoir mettre ces douleurs sur le compte de cet événement « externe ». Puis vint la fatigue, le manque de sommeil, la quasi-impossibilité de trouver le sommeil. J'étais conscient que j'en faisais peut-être un peu trop, mais après tout, j'avais un poste à responsabilités, c'était donc normal de devoir travailler plus ! La fatigue s'accentuait.
Mais je n'y ai pas prêté attention.

A chaque fois, pour chacun de ces petits « bobos »,je voyais mon médecin traitant qui me disait ces trois magnifiques petits mots « Comment allez-vous ? » et moi, narquois, je lui répondais que ça allait bien.Tout au plus un peu de fatigue mais que ça allait passer, qu'une fois ce petit virus soigné je serais plus fort qu'avant. Non seulement je le persuadais que tout allait bien, mais je me persuadais moi-même que j'avais encore la force d'avancer sans demander de l'aide, sans dire stop, sans dire « non, ça ne va pas ! ».

Non, ça ne va pas !Where stories live. Discover now