Automne - chap. 5

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Willa était à peine montée dans le bus du retour que la pluie s'était brusquement mise à tomber à verse, éclaboussant sans pitié trottoirs et passants, voitures et verdure. L'eau ruisselait sur la vitre sans discontinuer, troublant le paysage et embuant le verre, mais Willa ne la voyait pas. Elle ne voyait pas grand chose en fait. Les yeux rêveurs et un sourire aux lèvres, la jeune fille était plongée dans ses divagations amoureuses, ressassant sans cesse tout ce qui s'était passé au cours de cette merveilleuse journée. Elle posait de temps à autre un regard pétillant sur la feuille dont elle faisait rouler la tige entre les doigts, admirant ses couleurs, ses nervures. Elle passait la chair de son pouce sur les craquelures délicates qui parcouraient la surface végétale, chaque aspérité plus tangible encore sous sa peau.

Elle pensait à Paolo, évidemment. Tout lui faisait penser à lui, à présent. Elle revoyait ses cheveux noirs bouclés pris dans le vent joueur, sa peau que les timides rayons du soleil d'automne avaient teintée d'ocre et d'or. Elle revoyait la façon dont leurs mains s'étaient jointes au cinéma, la surprise, la joie, l'excitation et la peur qui en étaient nées. Son cœur battait à tout rompre au souvenir de son sourire, de ses yeux sombres, mais chaleureux, doux, tandis qu'ils se regardaient dans le parc...

Willa dut cacher son sourire dans le col de son sweatshirt. Non pas que le bus soit bondé. S'il y avait plus de monde qu'à aller à cause la pluie torrentielle, on ne pouvait pas décemment dire que les habitants de Derry profitaient pleinement des transports publics le samedi. Néanmoins, quelque chose en elle souhaitait garder ce bonheur pour elle-seule. Comme lorsqu'elle s'était retenue face à Paolo, dans le parc. L'espace de quelques heures, elle tenait à garder cette bille de lumière, cette agréable chaleur, rien que pour elle avant de la partager avec le reste du monde. Elle n'était même pas sûre d'en parler à Abby, même si sa petite sœur était bien plus perspicace qu'elle ne voulait le laisser paraître.

Penser à Abby rappela à Willa le cadeau que la fillette lui avait fait le matin même. Plongeant la main dans son sac, elle en ressortit son trousseau de clefs et passa les doigts sur les lignes de couture douces de l'objet, son regard allant de ce dernier à la feuille morte couleur d'écarlate qu'elle tenait dans son autre main. Peut-être que ce petit porte clefs lui avait bel et bien donné chance, au final...

Willa était tellement plongée dans ses pensées heureuses qu'elle ne remarqua pas tout de suite que le bus, qui avait déjà considérablement ralenti son allure, s'était finalement arrêté. Les essuie-glaces battaient furieusement contre le pare-brise, fouettant le verre sans le moindre état d'âme sous la pluie indifférente qui continuait à s'abattre sans discontinuer, comme si elle cherchait à punir ce monde. Lorsqu'elle remarqua que quelque chose clochait, la jeune fille se redressa dans son siège et tendit le cou pour voir ce qui se passait à l'avant du bus. La buée était si épaisse et la pluie si forte qu'elle devait plisser les yeux pour espérer discerner quoi que ce soit, même après avoir essuyé la vitre avec sa manche. Il lui semblait néanmoins voir que le problème venait de la route, pas du bus lui-même.

Fronçant les sourcils, Willa entreprit d'attraper de quoi ranger la feuille sans l'abîmer dans son sac et y glissa également ses clefs, puis se pencha en avant pour tapoter l'épaule de la personne devant elle.

- Excusez-moi, demanda-t-elle à mi-voix, vous savez ce qui se passe ?

Le vieil homme haussa les épaules, les sourcils broussailleux arqués en une expression d'ignorance.

- Pas la moindre idée. Mais je suppose que le chauffeur va bien éclairer notre lanterne.

Ses paroles étaient semble-t-il prémonitoires, car le chauffeur se leva alors pour se tourner vers les passagers de son véhicule.

Comme le reflet d'un miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant