Automne - chap. 4

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- Et quand elle a mis une droite au sale type ! Pour le coup, ils auraient pu opter pour un bon coup de pied là où ça fait mal quand même...

- Enfin la gueule du mec quand il s'est pris le coup de poing dans la tronche, c'était quand même pas celle d'un type masochiste qui vient d'atteindre le nirvana...

Zoé et Jeff étaient perdus dans leurs conjonctures et impressions du film tandis que Donna les regardait faire en pianotant sur son téléphone de temps à autre et que Molly renchérissait sur le fait que le film était une véritable bombe et qu'Amelia Diamond était clairement au sommet de sa forme. Elle sirotait bruyamment le fond de sa boisson gazeuse tout en faisant de grands gestes qui se voulaient des imitations des bagarres qu'ils avaient pu voir pendant le film.

Et Willa ?

Oh, Willa...

L'adolescente était allongée sur le dos dans l'herbe parsemée de feuilles mortes, regardant le ciel tacheté de lourds nuages que venaient caresser les rayons d'un soleil de milieu d'après midi avec un air lointain et un sourire rêveur mais heureux. Elle était à des millions et des millions d'années lumière des aventures d'Amelia Diamond et de ses péripéties pour récupérer la statuette maudite de l'Atlantide.

Non, elle, tout ce qu'elle voyait, tout ce dont elle arrivait à se souvenir, c'était la sensation des doigts de Paolo entremêlés aux siens lorsqu'il lui avait pris la main, vers la fin du film, alors que tout semblait perdu pour l'héroïne et ses amis. Willa avait écarquillé les yeux dans le noir de la salle de cinéma et avait cru que le siège allait l'engloutir en une réinterprétation incongrue de la scène du lit dans le film de Freddy Krueger.

Cela n'avait duré que quelques minutes, le temps que le portable de Paolo se mette à vibrer un peu trop fort dans son sac, le forçant à lâcher sa prise pour aller éteindre l'objet du délit, laissant Willa rougissante comme une écrevisse dans l'obscurité, les mains tremblantes et le cœur battant.

Oh, pour quelqu'un de plus âgé et de plus mûr que Willa, cela n'aurait sans doute pas représenté grand chose, mais pour la jeune fille, c'était un univers de possibilités dont elle n'avait pu que se contenter d'en rêver jusqu'ici et dont elle venait peut-être de trouver la clef aujourd'hui.

Son regard quitta les nuages pour se poser sur Paolo, qui était assis non loin et qui...

La regardait.

Il la regardait elle.

Willa ne détourna pas le regard, du moins pas tout de suite, malgré son envie. Elle voulait comprendre... il fallait qu'elle trouve un signe. Un seul autre signe que celui qu'il lui avait donné au cinéma, dans cette salle bondée mais aveugle, obnubilé par la grande histoire projetée sur l'écran quand une autre, plus modeste certes, mais toute aussi belle, écrivait peut-être ses premières lignes balbutiantes dans les sièges du fond.

Était-ce ce sourire qu'il arborait à présent en la regardant ? Était-ce la petite étincelle qui faisait luire ses yeux sombres d'un éclat inattendu ? Ou même la manière dont il tournait entre ses doigts la tige brunie d'une feuille morte du plus beau rouge que Willa avait pu voir ces derniers temps ? Oui...frangée d'or et de fugaces traces de vert, comme si l'été s'accrochait encore avec l'énergie du désespoir à cette œuvre de la nature que l'automne bordait déjà pour l'hiver.

Willa se sentait comme cette feuille, à cet instant. Admirée... et prête à s'effriter tant la peur se mêlait à l'excitation dans son esprit et dans son cœur tambourinant, battant comme un tambour effréné. Elle dût baisser les yeux en sentant ses joues chauffer à nouveau sous l'effet du rougissement de ses pommettes. Cela ne s'arrêterait donc jamais ?

Comme le reflet d'un miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant