Cindy ne comprenait pas la passion romanesque, et un soir d'été dans la Ville lumière prospecta des amoureux. Ils se bécotaient sur un pont face à Notre-Dame, et elle soupesa leur bonheur. Elle estima que ce dernier devait être éprouvé, et s'approcha d'eux pour déclamer ses oraisons. Impatiente, elle força la note, et se faufila ensuite entre les touristes indifférents pour observer le tableau. Ils s'embrassèrent encore une heure, puis s'arrêtèrent pour se concerter. Ils montèrent sur le parapet comme sur une scène, et ensemble se précipitèrent dans la Seine. Au milieu des cris d'horreur, elle trouva leur union dans l'anéantissement aussi charmante qu'incompréhensible.
Elle ne s'expliquait pas l'adoration d'une mère pour son enfant. Elle repéra un gamin plein d'entrain, et lui composa sa marche funèbre. Deux jours durant, elle rôda autour de la villa familiale, avant de voir le moutard monter sur le toit et s'offrir à la gravité pour se fracasser sur le trottoir. Elle se rassasia des hurlements de désespoir, qui pour elle demeurèrent inexplicables.
Elle ne déchiffrait pas que tout puisse vous paraître source de joie et de rigolade. Une jeune mariée, mère d'une délicieuse fillette et sœur d'une conquête éphémère, souriait du matin jusqu'au soir, adorait tout le monde qui le lui rendait bien. Cindy enviait cette faculté qui lui était refusée, et trouva là un défi à la hauteur de ses talents. Sa première tentative se conclut par son unique échec. La ravissante connut une semaine de noirceur inhabituelle, au point d'inquiéter son entourage. Mais elle surmonta cette crise, et alors qu'elle désamorçait l'emprise terrible, Cindy retourna en piste pour lui chanter une ritournelle obsessionnelle. Elle psalmodia durant deux heures pour vaincre à tout prix cette envie de vivre incoercible. Cinq jours plus tard, ses efforts reçurent leur juste récompense : celle qui transformait la vie en salle de bal jeta sa voiture dans le canal. Aux obsèques elle s'ennuya, en dépit du tsunami émotionnel qui submergea le petit cimetière et qui lui semblait indéchiffrable.
Pour une fois qu'un amant survivait, sa sœur disparaissait. Dimitri ne comptait plus les cadavres dans les pas de sa corruptrice, qu'il suivait avec discrétion dès qu'il en trouvait l'occasion. Il avait assisté au plongeon gracieux des tourtereaux, et y discerna la preuve sans s'expliquer le comment qu'il se tenait bien devant une série de crimes. Son trouble s'accrut, et il la désira comme un funambule jouirait de surplomber la mort. Il lui avoua tout savoir, lui demanda l'extase et elle lui rit au nez, lui conseillant de se pignoler.
Un beau matin, elle se réveilla lasse de poursuivre ses chimères. Elle ne ressentait aucune émotion, et rien ne paraissait pouvoir y remédier. Alors elle se leva, et plutôt que de nuire à ses congénères, alla trouver la responsable de sa condition. Elle n'avait pas visité sa mère depuis des années, et celle-ci fut d'autant plus étonnée de la découvrir sur son palier.
Cindy raconta son insensibilité, sa méconnaissance des sentiments humains, sa privation d'empathie. Maman, qui depuis longtemps subodorait un tel désastre, versa une larme et compatit à l'infortune de sa petite fille. Infortune ? Elle se voilait la face ! Cindy lui asséna ses interminables soirées solitaires, ses samedis et ses dimanches sans présence maternelle, son enfance sans affection. Elle lui cracha ses heures à discuter avec son doudou, qu'elle remplaça par les trophées masculins empilés dans sa mémoire comme autant d'échappatoires. Maman regimba, rejeta sur le hasard la cause de sa détresse et s'exonéra de toute culpabilité.
Cindy ne pouvait y croire. La vieille lui déniait même de la serrer dans ses bras et de reconnaître ses fautes. Alors, aussi froide que le marbre qui battait dans sa poitrine, elle retraça pour sa mère son parcours semé de suicides et d'affliction, décrivit ses transes et leurs conséquences avec un luxe de détails qui révulsèrent la pauvre femme.
Quelle histoire insensée ! Sa fille possédait plus d'imagination que de sentiments.
Cindy se leva et sortit de la maison de son enfance odieuse. Maman la vit sonner chez le veuf dont le chien depuis tant d'années assommait le voisinage de ses glapissements sauvages. Vingt minutes plus tard, Cindy revint et intima à celle qui l'avait portée d'attendre en silence que sa triste mélodie la débarrasse de l'indélicat propriétaire du clébard braillard. Un cadeau pour leurs retrouvailles !
Deux heures s'écoulèrent et une ambulance stoppa le long du trottoir. Elle repartit peu après, travestie en corbillard. Le vieux s'était immolé par le feu en compagnie du labrador hargneux. Maman repoussa sa fille chérie avec horreur, elle tempêta, la renia, suffoqua de consternation, frôla l'asphyxie définitive ; mais celle qui avait abandonné Cindy ne conçut pas l'heureuse idée d'expirer.
Dimitri planquait dans la rue, et avait assisté au manège de Cindy et au ballet des sirènes. Il attendit son départ pour s'inviter chez la marâtre. Celle-ci ne se remettait pas, et trouva en Dimitri une épaule réconfortante et une oreille où se soulager. Elle ne lui cacha rien, des accusations insensées de son enfant jusqu'à son talent destructeur. Le jeune homme apprit ainsi le secret de son égérie, qui, loin de le démagnétiser, renforça son obsession pour elle. Il repoussa la maman, qui possédait la beauté banale de sa fille, mais pas son envoûtante dangerosité.

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Le dernier chant de Cindy
ParanormalCindy est une jeune fille qui a été élevée en absence d'amour parental. Ses relations avec les humains en sont affecté, car elle ne connaît aucune émotion. Elle glisse parmi ses contemporains, jusqu'au moment où elle se découvre un talent étrange et...