La chance de ma vie

41 1 2
                                    

Le ciel avait revêtu sa tenue de tristesse, le jour où Ava se leva pour la dernière fois. Les nuages étaient lourds et chargés de pluie, à l'image du cœur de la jeune fille.

Elle quitta sa chambre chaude et réconfortante pour pénétrer dans la grisaille de la vie quotidienne, pas encore prête à affronter la violence de sa mère dont les gestes et les pensées étaient trop souvent altérés par les méfaits de l'alcool.

Elle n'était pas prête ; elle ne le serait plus jamais.

Elle partit en direction de la cuisine et entreprit de préparer son ultime petit déjeuner qu'elle n'avala qu'à moitié, tant son cœur était lourd et son esprit rempli au point d'exploser.

Sa mère passa derrière elle en ruminant des injures, qui étaient sans doutes destinées à la jeune fille, mais dont les milligrammes d'alcool dans le sang de la femme rendaient incompréhensibles et à peine audibles. Ava n'y prêta aucune attention, ni aux insultes, ni à la femme qui lui avait donné la vie, il y avait de cela dix-sept ans, jour pour jour. Mais cela, la femme n'était pas en état de s'en rappeler.

Ava s'apprêtait à enfourner une cuillérée de céréales molles et insipides lorsqu'une main puissante vint la frapper derrière la tête, faisant voler son maigre repas à travers la cuisine.

Elle ne réagit pas, elle laissa passer.

À peine avait-elle remis un peu d'ordre dans son esprit que sa mère l'agrippa par les cheveux, la forçant à se lever. Elle hurla des insanités en lui flaquant des gifles, puissantes et douloureuses malgré son état d'ébriété.

La raison de cette haine et de cette violence ? L'alcool d'abord, la porte qu'Ava n'avait pas fermée à clé la veille, ensuite.

Ava tenta de se protéger mais en vain. Sa mère était déchainée ce jour-là, mais ce serait le dernier jour où Ava endurera cela. Rien que le fait d'y penser lui serra un peu plus le cœur.

Enfin, la femme la lâcha, ou plutôt, la laissa tomber sur le sol de la cuisine avant de hurler une ultime fois à quel point sa fille n'était qu'une bonne à rien, qui ne méritait pas de vivre et à quel point elle regrettait de ne pas avoir avorté de cet être infâme.

Mais ces mots-là ne l'atteignirent même plus.

Ava se contenta de se relever doucement, de nettoyer ses céréales à demi consommées avant de quitter la pièce et de se diriger vers l'entrée le plus discrètement possible.

Puis, elle attrapa son manteau qu'elle ne ferma pas pour sortir dans la rue froide et inanimée en cette heure matinale. Elle regarda sa montre ; 07:12. Parfait, elle serait à l'heure pour le train de 07:25.

D'un pas assuré, elle se mit en route. Elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles avant de presser sur le bouton « play » de son portable. Aussitôt, elle fut envahi par les sombres paroles de la chanson Make me wanna die. La voix de Taylor Momsen s'insinuait dans ses pensées pour la torturer.

Ses pas claquaient sur le bitume silencieux. Les pans de sa veste virevoltaient derrière elle et ses cheveux s'ébouriffaient. 

Elle marchait vite, comme si elle risquait de louper le train. Son dernier train.

Elle marchait vite. De plus en plus vite. Elle se mit presque à courir lorsqu'elle arriva à la hauteur de la gare. Elle jeta un coup d'œil à sa montre 07 :19. Elle continua tout droit, sans se soucier des quelques habitants qui attendaient sagement leur train.

Ils pourront attendre longtemps ! Songea la jeune fille.

Le trottoir était bordé de buissons et d'arbustes pour cacher la vue du train. La jeune fille s'en réjouit. Personne ne verrait son dernier geste.

Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant