Un instant au parloir

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Ce matin-là, la chaise jaune était vide. La vitre me séparant d'elle reflétait mon visage triste et mes larges épaules dans mon uniforme orange orné de mon matricule. Les deux téléphones étaient raccrochés. Aucun moyen d'entendre sa voix, impossible de la voir, pas moyen de lui parler. Pour la première fois depuis que je suis enfermé ici, elle n'était pas venue. Elle avait fini par y croire, elle aussi, à ce que dit la presse, à ce que pensent les gens, au verdict qui a été rendu.
J'avais essayé pourtant, de la convaincre de la vérité, de l'empêcher de croire en ces mensonges. Ce n'est pas moi qui l'ai tué, cet homme. Ce ne sont pas mes mains qui ont enserré sa gorge pour l'étouffer, ce n'est pas moi qui ai enterré son corps dans le jardin de notre maison. Je lui avais juré que j'étais innocent, que ces marques sur mon visage, ce n'est pas lui qui me les avait infligés.
Ce n'est pas moi qui lui ai volé son existence.
Bien qu'il le méritait, bien que son décès ne m'attristait pas le moins du monde, bien que j'avais souvent rêvé de sa mort, jamais je n'aurais osé lever la main sur lui.
Bien qu'il l'avait violée, salie, brisée, elle, celle qui hier encore se tenait sur cette chaise jaune. Bien qu'il l'ait détruite, le pardon était plus important. La rancœur n'amène à rien, à part à des choses que l'on regrette.
Je ne l'ai pas tué.
Elle m'avait cru, soutenu pendant un temps. Mais ce temps était révolu et cette chaise jaune ne sera plus jamais occupée. Plus jamais ces yeux verts ne croiseront les miens, plus jamais sa douce voix ne me rassurera, ne me réconfortera en me disant qu'elle m'aime.
Je jetai un œil à l'horloge accrochée au mur en face de moi. 10 :04, heure du décès de son amour.
Si elle avait décidé de venir à notre rendez-vous de 10 :00, elle serait déjà là. Jamais elle n'était arrivée en retard à nos « moments à nous ». Les seuls moments que l'on pouvait encore partager. Les seuls moments qui comptaient encore vraiment.
Pourquoi n'était-elle pas venue ? Qu'est-ce qui l'avait fait changer d'avis ? Comment avait-elle compris ?
Que je suis un menteur, en plus d'un assassin.
Et je croisai mon regard dans le reflet de la vitre. Ce qui j'y lu me fit frémir. De la peur, de la tristesse, de la colère. Tout ce que je m'étais interdit de ressentir. Pour elle, pour nous. Et c'est ainsi que tous les souvenirs remontèrent des tréfonds de mon âme. Mes mains, enserrant sa gorge. Moi, jubilant de sentir la vie abandonner son corps. Lui, une vision d'horreur tatouée sur son visage. Ses mains, ses ongles, tranchant mes joues et mon front en tentant de se libérer. En vain.
Puis je revis son corps sans vie, emballé dans un drap, attendant patiemment que mes bras, armés d'une pelle, aient fini de creuser le lit de son repos éternel. Ce trou grandissant au même rythme que celui dans lequel j'étais en train de sombrer, dans mon cœur.
Je ressentis la sensation des menottes froides et tranchantes meurtrissant mes poignets. Je ressentis ses yeux verts désespérés posé sur moi. Puis le bruit sourd du marteau sur le bureau du juge, prononçant sa sentence, revint ébranler mes convictions, faisant dégringoler le château de cartes de mon assurance.
Mes mains moites se mirent à trembler. Ça se mit à crier et tambouriner trop fort dans ma tête, des hurlements de détresse et des cris accusateurs.
- « Arrêtez... » je me suis mis à murmurer pour moi-même.
Je fermai les yeux.
- « Taisez-vous ! »
Je plaquai mes mains sur mes oreilles, mais ce fut encore pire. Les voix de malheur résonnaient à l'intérieur de ma propre tête. C'était la fin, elle m'avait démasqué et avait décidé de m'abandonner.
- « Oui, c'est moi... »
Les voix avaient raison.
- « C'est moi ! c'est moi ! »
La seule manière de couvrir les voix, crier plus fort qu'elles.
- « C'est moi qui l'ai tué ! »
La main d'un des gardiens se posa vivement sur mon épaule pour me faire sortir de ma transe. Je relevai la tête pour trouver face à moi son visage d'ange, ses cheveux blonds et ses yeux verts, horrifiés. Elle se tenait là, debout, derrière la chaise jaune. Je ne l'avais pas entendue entrer. Elle ne bougeait plus, tétanisée.
Une seule et unique phrase sortit de sa bouche :
- « Le bus avait du retard... »
Après quoi, je la vis s'effondrer, se noyer dans ses pensées et même temps que les larmes brûlaient ses yeux. Elle quitta la pièce, délaissa la chaise jaune, m'abandonnant à jamais.
Et je me retrouvai à nouveau seul, face à mon reflet, empli de regrets.
À présent j'espère juste qu'elle puisse me pardonner.

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