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EhRichard Bohringer, "grand singe qui parle à la lune", humain fou à la voix et à la gueule cassée. Merci. Tu vois, moi je mets des virgules, je perds mon lecteur ou je dilue ma prose...

Toi,tu mets des points. Tu écris des cris. Tu décris. Ca me donne envie de désécrire ma putain d'écriture d'universitaire.

C'est fou tu sais? Je sortais de trois heures dans un amphi. Les trois dernières heures de quatre jours. Huit examens. Des jours entiers passés, des mois, à essayer de faire entrer dans ma tête. Ces cours. (J'ai le rythme maintenant. Ton rythme. Celui que tu as mis dans ton bouquin. Je l'ai lu d'une traite ce soir. 20H59. Je l'ai acheté à 18h.) Oui, tu vois pendant tous ces mois face à tous ces mots.Ces longs discours. Ce charabia prétentieux d'universitaires. Je n'ai pas réussi à le faire mien. A le mettre en moi. Et donc : cet après midi. Il fallait que j'ai ces mots en moi pour les ressortir,rédiger la copie. La remettre à la vieille prof chic qui l'attendait. Echec.

J'ai fait ce que j'ai pu. J'ai senti du désespoir en moi. De la haine contre mon impuissance. De la jalousie envers ceux et celles qui grattaient. Intelligemment. Ils avaient l'université en eux. Moi jeme sentais écrasé par l'université. Etouffé. En son sein. A l'intérieur d'elle mais pas elle à l'intérieur de moi.

Et en sortant, une seule idée. Lire autre chose. Aller acheter un livre pour me laver la tête avec. Me purifier. M'exorciser.

J'ai marché. La montagne était belle. A portée de main par delà le périphérique. Verte. Dense. Tropicale par la touffeur de ses arbres. Verte magique. Quelques clochers et paturages. La France, pas le Guatémala, pas le Cameroun. Grenoble.

J'ai attrapé un bus, me suis retrouvé au milieu des africains du nord,du sud. Gazelles si belles! Retournant dans les tours de béton si françaises. On était serrés. Grève des transports. Nos mains s'effleuraient sur la barre. On s'y tenait pour pas tomber. Un homme blanc. La cinquantaine. Je le connais. Il a passé les mêmes examens que moi. Il porte un chapeau brun et une veste polaire à carreaux.Il sue. Normal. Un sourire crispé sur son visage. Nos regards se croisent. S'évitent. Il sait que je sais. On a été quatre jours noyés dans le même troupeau d'humains. On a payé le même prix pour avoir le droit . Le droit d'avoir cette formation. Passer les examens.

Les rater? Pas pour lui. Je lui parle. Il me répond. Voix blessée de robot. Les cicatrices sur sa gorge. "Aucun problème" dit-il pour l'examen de cet après-midi. Il a le Capes et il est professeur.

Une fille à la bouche très attirante. De grosses lèvres. Elle a l'air timide. Jeune. Je lui souris. Elle me répond, une fois seulement.

Je quitte le prof-étudiant. Il file sur Paris. Je vais au Carrefour. Je cherche un livre et c'est le tien qui vient dans ma main. "L'ultime conviction du désir". Ta gueule abîmée, brulée, ton regard.Unique. Etrange. Et surtout ce coin. Ce tout petit coin de sourire sur ta bouche.

Je savais pas ce que ça allait être. Je pensais que ça serait bien.Tu m'as mis des images en tête. Tu m'as lavé. Tu m'as purifié.Mission accomplie. Par tes mots. Tes bouts de vie. Tes visions. Tes idéaux. Tes souffrances. Ca a été plus que bien. Ca a été une réponse. Comme si je ne voulais plus être moi. Ce moi qui mendie une bonne note à la fac pour pouvoir partir au Sud. Maroc.Thaïlande. Equateur. Costa Rica. Haïti.

Toi tu m'emmènes direct vers le Sénégal. Eh, tu sais je t'ai vu chez Ruquier. Oui, t'as dit que t'étais sénégalais maintenant. Je me suis dit bravo. Il a assuré le mec. Il a fait ce qu'il faut. Normal que j'ai acheté ton bouquin quand j'y repense. Et les femmes. Les hommes. Africains, Africaines. Tes amis, tes amies. Tes soeurs, tes frères. L'Afrique, ta mère. Ton fils Matiou. Je l'ai envié. Moi aussi j'aurais aimé que mon père m'emmène en Afrique. A Cuba.

Mais mes parents font des voyages organisés. Turquie, Egypte, Maroc. Je n'ai jamais voulu les accompagner. Je supporte pas. Mais c'est des gens très bien, tu sais. Je leur jette pas la pierre. On est différents. C'est comme ça. Ils m'ont fait, ils m'ont laissé libre de devenir ce que je voulais. Ils me soutiennent.

J'ai ce que tu n'as pas. Des parents. Et une bosse dans le dos. Si tu lis cette lettre c'est peut être que tu m'as vu. Alors tu sais ce que c'est.

Merci et merci encore en tout cas Richard.

Ca faisait longtemps que j'avais pas écrit comme ça. C'est à toi que j'écris mais en même temps je renoue avec la chère vieille écriture. Je me suis forcé à mettre certains points. Tu vois. Tu m'influences.

Parfois je suis ce petit blanc nanti qui a peur. Du monde. Des autres. De sa faiblesse.

Parfois je suis ce lutin plein de vie. Tellement plein qu'elle déborde sur les autres. Un lutin qui avance. Qui danse. Qui pense et panse ses plaies. Qui communie. Qui prie et rit. Qui joue et aime la vie. Qui pleure de joie pure. Romantique. Comme toi. Utopiste. Comme toi. Voyageur. Pas encore autant que toi. Fort. Pas autant que toi.

Tu m'as ouvert d'autres horizons, mec. Je me suis vu dans les rues d'Afrique, apprenant aux gosses à faire des bracelets.


"_Finalement son rêve s'est réalisé peu de temps après tu vois?

_Oui mais pas là où il le pensait. Un an plus tard il apprenait effectivement aux enfants du Soco à faire des bracelets en macramé.En plein coeur des Caraïbes.

_Son coeur a explosé de joie, ça a été une expérience vraiment forte!

_Il était totalement en phase avec lui même..."


Transportant du jade du Guatémala pour le vendre aux touristes en visite auSénégal. Des images de ta vie. Que j'adapte à ma vie future. Des futurs rêvés j'en ai plein. J'en ai réalisé peu.

Le présent n'est pas un rêve. Il y a l'argent à gagner. Librairie cet été inch'Allah. Tes bouquins à vendre à ceux qui peuvent te recevoir. Au passage. Pourquoi pas, hein?

Et après, la route. Quoi qu'il arrive. Tant de routes vers tant de coins de la moitié sud de cette belle Terre.

Casera ça. Dans plus trop longtemps. Patiente mon coeur. Brille monétoile. Montre moi la voie car je suis prêt.

Une à une. Je largue les amarres.

Et toi Richard, je voudrais te voir. A Saint-Louis? La lettre sera prête pour toi. Sur le chemin on peut se rencontrer. Ce sera chouette.Allez, peut être à un de ces jours mon frère!



  Grenoble,19 mai 2006.

Attraper les rêvesWhere stories live. Discover now