Les tribulations d'un Prince maudit et de son preux chevalier

Chapitre 1 : Sur un bout de papier

Il était une fois un royaume très grand, plus grand encore que tout ce que vous pouvez imaginer. Il balayait mers et montagnes, déserts et forêts, volcans et plaines gelées.

Ce royaume était le royaume d'Edra. Il était peuplé par bon nombre de créatures, certaines qui vous sembleront familières, d'autres assez incongrues, toutes plus incroyables les unes que les autres. Les plus évoluées d'entre-elles formaient un peuple, les Edrians, qui vivait la plupart du temps en paix, bien que régulièrement menacé par des créatures venues de l'ombre, des monstres puissants et primitifs s'attaquant à quiconque se dressait en travers de leur chemin. Ces monstres étaient appelés les âmes noires, car leur peau était striée de grandes zébrures sombres qui semblaient laisser échapper toute leur malfaisance et leur agressivité. Personne ne savait d'où provenaient les âmes noires et personne ne savait quand elles étaient apparues. Certains parlaient d'une malédiction, d'autres d'une erreur dans la Création. Les théories allaient à tout va, mais jamais une seule n'avait été reconnue par la communauté érudite. 

Les Edrians étaient gouvernés par un Roi, le grand Falon d'Edra. C'était un bon Roi, personne ne pouvait le réfuter. Il dirigeait le royaume d'une main de maître et jamais on n'avait été aussi proche du niveau de développement de l'Ancienne civilisation, un peuple qui avait foulé les terres d'Edra plusieurs millénaires avant cette ère. Le Roi était aussi imposant qu'autoritaire. Tout en lui criait au respect. Jamais personne n'aurait eu l'idée folle d'aller à l'encontre de ses dires. Sa carrure était telle qu'il semblait parfois aussi rigide et haut qu'un mur. Il dépassait tout le monde d'une bonne tête et son visage était constamment tiré en des traits sérieux.

Pourtant, c'était un père absolument exécrable. Il avait un fils unique, le Prince Aru, dont la mère était morte, emportée par la maladie quelques années après sa naissance. C'était un garçon charmant, curieux, avec une tête bien faite et un incroyable goût pour la recherche. Cependant, ce n'étaient pas là les qualités requises pour un futur Roi, selon l'actuel souverain. Jamais le Prince n'avait vu sourire son père. Jamais il n'avait aperçut ne serait-ce qu'une esquisse de fierté dans son regard lorsqu'il posait les yeux sur son fils.

Le Prince avait d'abord tout tenté pour que son père soit fier de lui. Il s'était mis à manier les armes, il avait appris à monter à cheval et s'était même entraîné à se battre en galopant. Non seulement le Roi ne lui avait jamais accordé la moindre attention, mais en plus, le Prince était un vrai danger pour lui-même lorsqu'il tenait une épée : il avait bien failli se trancher un bras la dernière fois qu'il en avait eu une en main.

Il avait alors délaissé les armes et s'était consacré à la lecture. Il y avait trouvé refuge et passait à présent ses journées et ses nuits à arpenter la bibliothèque royale en quête de nouvelles connaissances, de nouveaux royaumes dans lesquels s'enfuir. Il avait arrêté de tenter l'impossible et s'était contenté d'éviter son père le plus possible. Il ne le croisait que lorsqu'il ne pouvait faire autrement et prenait soin d'ignorer chacune de ses remarques acerbes. Il ne haïssait pas son père. Plus maintenant. Il s'était résigné à n'être qu'un Prince indigne aux yeux du Roi. Du moins, c'est ce qu'il essayait de faire croire.

Pour l'heure, le Prince Aru arpentait les couloirs pavés du château pour rejoindre les statues des Déesses - deux immenses créatures de pierre qui avaient élu domicile dans la cour du château. C'était le jour de la Cérémonie et, bien que cela ne l'enchantât pas vraiment, il devait s'y rendre. Il avait beau avoir une relation tendue avec son père, il n'en restait pas moins un digne habitant d'Edra.

Lorsqu'il arriva dans la cour, une grande foule était déjà réunie. Assis dans ses gradins personnels, le Roi Falon attendait l'arrivée de son fils en tapotant machinalement du pied. Il devait lui faire part d'une nouvelle importante et il comptait bien le faire avant que la Cérémonie ne débute.