3 ~ Diabolus

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Je rentra chez moi, saine, sauve, folle.

Je rentra chez moi dans la nuit, saine, sauve, folle, heureuse.

Je rentra chez moi dans la nuit, saine, sauve, folle, heureuse, larmoyante. 

La rumeur qui s'élevait dans mon esprit s'apaisait. J'étais seule avec moi-même.

Les ruines que je pensais trouver étaient finalement présentes. La noirceur avait prit mon bonheur en otage. La nuit, la lune, le froid, la fumée, les regards noirs... Je tremblais, capuche rabattue sur mon visage, dents claquant dans l'air glacial, vapeur blanche sortant de ma bouche.

Je suis rentrée chez moi.

Pas un rat. Chemins boueux.

Je suis sortie du cauchemar. 

Pas une âme. Vitres sales.

Je suis revenue dans mon passé.

Pas un bruit. Braseros éteints.

Je suis assise à attendre quelqu'un.

Pas un démon. Obscurité étouffante.

Je pense cette personne morte.

Une main se tend devant moi. Rayon de lumière dans son cœur, cœur sur la main.
Il me dit de sa voix douce et rude " Je t'attendais.
Moi également. 
Mais je ne reconnais point ses traits.
Est-ce un fruit démoniaque de mon imagination traîtresse ? 
Un fantôme revenu hanter mes pensées ?

Je pris sa main. Rude comme sa voix, douce comme sa voix, étroite, carrée.

Il parle, parle, parle, cause dans la nuit comme si il ne la craignait point.

Je suis rentrée à la maison.

Il m'attendait.

Je l'ai oublié.

Il me connait.

Je ne me connais pas.

Il pourrait me nommer.

J'ai oublié mon nom.

Il sait mon âme.

Je l'ai vendue au diable.

Il sait ma douleur.

Je ne lutte plus contre elle.

J'éprouve une caressante chaleur. Mon cœur se réchauffe. Mes traits s'étirent. Petit sourire, premier sourire.

Il m'attendait.

Seul.

Il m'attendait seul.

Pourtant, je me rappelais d'autre voix. D'autre rire. D'autres mains. D'autre cœur.
Je ne les revus plus.
Jamais.

Il était le seul qui me restait. Le seul vestige de mon passé heureux. Je tentais toujours, pour autant, de me rappeler son visage.
Où l'avais-je vu ? Où l'avais-je entendu ?

Il avait le ton de quelqu'un que j'aimais écouter.

Et je me souvins.

Il était lui.

Il était celui pour qui j'ai laissé les ténèbres me prendre.

Celui pour qui j'ai percé mon cœur.

Celui pour qui j'ai vendu mon âme.

Celui pour qui j'ai perdu la raison.

Celui pour qui j'ai cessé de sourire.

Celui pour qui j'ai combattu.

Celui pour qui j'ai tué.

Ma main se posa sur sa joue. Il cessa de parler. Était-il heureux ? De me revoir ? De m'avoir attendu ? D'avoir espéré ? Je ne pouvais lui en vouloir pour le mal que j'ai subi par sa
faute. Il n'était que la victime de la folie de l'univers. De ma démence, de
mes erreurs, de mon amitié à son égard. De mon
amour
à son égard.

Allait-il m'abandonner ? Allait-il me prendre pour responsable, coupable des ruines de notre chez-nous ?

Il chassait l'autre de sa lumière, je ne pouvais pas le perdre.

Pas encore.

Je suis rentrée pour lui.

Ma main caressa son visage. Les yeux fermés. Je voyais enfin ses traits. Je me souvenais de ce visage.
Il était celui-là. 

Celui qui la main crispée sur le manche de l'épée, m'avait toujours défendu. Celui qui m'enseigna la défense. Celui qui éclaira mes pas brouillés. Celui qui aima mon âme sans jamais la toucher, car je fuyais. 
Et il n'avait jamais insisté.
Et je n'avais jamais pris le temps de lui dire " Je t'aime. "
Et lui m'aimait en silence.

Des larmes amères sur les joues, étreinte forte. Je nicha ma pauvre tête contre lui, noyant ma peine. 

Était-il le diable ? Où suis-je son diable ?

Il m'entoura de ses bras, me cachant aux yeux des ruines mauvaises, des murs détruits qui écoutaient mes pleurs. 

Et lui pleurait également.

Si longtemps, que nous, créatures immortelles, ne nous étions pas revus, pas parlés, pas entendus, pas touchés, pas ris ensemble. 

Celui, il, lui, est mon ami. 

Le plus agréable, le plus franc des amis. La seule raison pour laquelle je me suis battue contre le noir toutes ces années. 

Il était ma lumière.

Mon soleil.

Un petit son, infime, court, retenu dans un souffle bref, fusa d'entre mes lèvres glacées :

" Je t'aime. "



J'aurais une question pour toi, lecteur. Qui est-elle ? Comment la vois-tu ? Quel est son passé, son futur ?

Sur ce, j'ai hâte de voir ton imagination travailler...
Et peut-être que la plus fleurissante de vos interprétations deviendra la longue épopée de cette femme...

In TenebrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant