1 ~ In Tenebris

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Un matin, je me suis levée. Sans ami, sans famille, sans foyer, sans humanité.

J'ai longuement erré, perdue, déchirée. Par une force supérieure à la mienne. Je n'étais plus moi, j'étais une autre. Et ce jour là, je compris que j'avais toujours été une autre.
Ma peine, ma rancœur, ma douleur, tout s'est fondu en indifférence.
Je n'étais pas humaine, je le savais. Je l'ai toujours su. Mais je ne l'ai compris qu'aujourd'hui.

Ce matin, je me suis levée. Poing armé et pas feutrés.

Suis-je folle ? Peut-être bien. Je ne me connais pas. Je m'approche pourtant de moi-même depuis des siècles.
Mais je ne suis rien.
Rien qu'un outil, une machine, un automate.
J'ai obéis sans réfléchir. Je n'ai plus de raison de réfléchir. L'autre que je suis devenue n'en a plus la volonté.

Ce matin, je me suis levée. Souffle court et lame courbe au poing.

Je n'aime pas spécialement voir le sang couler. Je m'y suis habituée.
Je n'aime pas non plus tuer. Et pourtant, je le fais.
Je n'aime pas être différente. Je m'y suis lassée.
Je n'aime pas me fondre dans les ténèbres, et pourtant,

j'y suis tombée.

Ce matin, je me suis levée. Sens aiguisés et lame affûtée.

Suis-je cupide ? Sûrement. Je me suis levée pour l'argent.
Je n'ai plus de raison d'être un modèle.
J'ai trop tôt lâché l'épée guerrière.
Et pourtant, je songe n'avoir rien à envier aux grands héros.
Car il n'en existe nullement.
Des contes, des histoires, des bobards.

Ce matin, je me suis levée. A présent, je suis hésitante.

Il était trop simple, trop aisé de se fondre dans les ombres. Mais si simple, si aisé de s'y faire traquer, trouver. Car nous oublions ne pas être les seuls à y résider.
Nous sommes fantômes, je suis fantôme.
Et pourtant, mon pas résonne sur le sol, au rythme effréné de mon cœur.

Ce matin, je ne sais pourquoi je me suis levée.

Je suis vivante, je respire, j'aime, je hais. Je chéri l'amitié, abat le traître. Je suis humaine, en illusion. Je suis colère, je suis joie, je suis désespoir et espoir. Je suis tout et rien.
Et pourtant, ma lame s'abat. Rendant à la poussière ce qui lui appartient.
Des éclats rouges sur ma tenue noire. Une constellation morbide au plafond. Une mer sanglante s'échappant entre les lattes du parquet.

Ce matin, j'ai tué. Mains tremblantes et mâchoire crispée.

Suis-je un monstre ? Une horreur ? Je veux vivre, à tout prix. Chasser l'autre de moi. Je sens mon âme, mon cœur, ma peau, je sens la douleur de mon corps.
Mais je dois chasser l'autre de moi.
Suis-je humaine, elfe, naine, gnome, lutin, fée, sorcière, je n'en sais rien. Je sais que j'existe, que je dois vivre. Aimer. Sourire.

Je dois vivre.

Battre les ombres, être plus forte qu'elles. Effleurer la lumière, je ne demande que ça.
Mais cette fois-ci, je serais seule à mener la bataille.

Puis le soir est arrivé.

Blottie dans les bras du froid, caressée par la pluie, lovée dans l'obscurité, je dois dormir.
Mais mes yeux restent ouverts, ouverts sur le monde glacial et impur, puant et ingrat.
Alors j'essaye d'endormir mon cœur, mais celui-ci est ailleurs, perdu dans les souvenirs lointains et heureux. Ceux des êtres chéris, dont j'ai pourtant oublié le visage.
Mais le cœur n'oubli pas, lui. Il me tire en arrière, alors que je sais, dans ma lucidité, qu'il n'y a que des ruines. Les souvenirs sont des leurres, les sentiments des trompeurs.

Mollement, mon regard osa s'élever du sol. Intriguée, je vis le ciel, comme pour la première fois.
Un ciel sombre, obscur, inquiétant, mystifié. Pourtant, dans ces ténèbres épaisses brillaient des lumières. Des étoiles. L'espoir.

Aussi me demandais-je combien de gens, aujourd'hui, lèvent la tête vers la voûte obscure de la nuit.
Moi, ragaillardie, je me leva, abandonna la pluie et le froid, reflet de mon chagrin que je croyais éteint, et marcha, sans me presser, vers l'endroit que m'indiquait mon cœur.
Car si j'y pensais trouver des ruines, j'étais bien sotte.

Ce matin, je marchais, doucement, vers la lumière. Je cheminais lentement, profitais de ce moment unique, savourais chaque instant. Je souriais aux ténèbres éclairées, les narguais avec joie : " Regardez, regardez ! Je vis sans vous ! Sans chaînes ni colliers, sans armes ni sang sur moi ! Regardez comme je ris, comme je vis ! Comme je suis heureuse sans vous ! ".

Si la Lune est ma guide, alors le Soleil est mon but.

Et même dans l'obscurité, j'aurais la force d'avancer jusqu'à lui.







J'aurais une question pour toi, lecteur. Qui est-elle ? Comment la vois-tu ? Quel est son passé, son futur ?
Sur ce, j'ai hâte de voir ton imagination travailler...
Et peut-être que la plus fleurissante de vos interprétations deviendra la longue épopée de cette femme...

In TenebrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant