65. Evasion

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     Arthur marchait librement en direction du grand escalier, n'arrivant pas encore à croire à son succès. Il était tiraillé par une sérieuse envie de se retourner pour vérifier s'il n'était pas poursuivi, mais s'efforçait de s'en abstenir. Il luttait également contre le désir de partir en courant.

« Je suis censé être un puissant mage noir. Je dois tout de même conserver une certaine dignité », se dit le jeune homme en accélérant néanmoins le pas.

La petite fiole dorée enfouie dans sa poche heurtait sa jambe à chaque mouvement, comme si elle cherchait à rappeler sa présence. Arthur n'avait pas besoin de cela pour y songer sans cesse. Ses souvenirs, son passé, étaient à portée de main, à quelques millimètres de ses doigts.

Le sentier que le jeune homme suivait s'acheva abruptement sur les marches qu'il avait péniblement gravies à l'aller.

Arthur s'arrêta net, les yeux fixés sur le vide. Il lui sembla soudain qu'il aurait mille fois préféré retourner affronter la reine des elfes et Absalom plutôt que de devoir s'engager sur cet escalier vertigineux.

«Hauts les cœurs, un peu de dignité », se rappela-t-il.

Prenant son courage à deux mains, il s'obligea à descendre sur la première marche, puis sur la seconde. A son grand soulagement, l'épreuve ne fut pas aussi difficile qu'il le pensait et il toucha le sol bien avant que l'heure ne soit écoulée. Ses jambes tremblantes le portèrent tant bien que mal jusqu'à l'endroit où il avait laissé Charlotte. Là bas, à côté du repère de pierres qu'il avait mis en place, était posé un étrange objet tout à fait inattendu à Mundus : un hélicoptère bleu.

*

Katsuo avait dû batailler ferme pour me convaincre d'entrer dans cet engin de malheur. J'avais fini par m'y asseoir avec une extrême méfiance, entre deux elfes noirs qui ne paraissaient guère plus rassurés que moi, lorsque nous vîmes Arthur surgir, le teint très pâle.

— Es-tu vraiment sûr que tu sais piloter un hélicoptère ? demanda-t-il au jeune asiatique qui leva les yeux au ciel.

— Je me pose la même question et je suis persuadée que la réponse est non, marmonnai-je, même si personne ne m'avait rien demandé.

Katsuo nous jeta à tous les deux un regard courroucé.

— Bien sûr que oui je sais le piloter ! Pour votre gouverne, je l'ai déjà fait très souvent. Tout s'est bien passé ? Où sont Brunehaut et Grégoire ?

Arthur n'avait révélé à personne l'intégralité de son plan, craignant de se tromper ou d'être entravé dans ses projets.

— Tout a fonctionné comme je l'espérais. Euh... Brunehaut et Grégoire ne vont pas venir avec nous. Je t'expliquerai plus tard. Décollons. Nous allons prendre du retard.

Il vint se mettre devant moi tandis que l'engin s'élevait rapidement en l'air dans un grand bruit de moteur.

— Un hélicoptère ? demandais-je, encore éberluée. Comment avez-vous fait pour faire venir un hélicoptère sur Mundus ?

— Nous l'avons depuis longtemps, expliqua joyeusement Katsuo qui était manifestement la seule personne détendue. Nous l'avons fait passer en pièces détachées par la porte de Versailles puis caché dans une grange.

— Et vous espérez vraiment arriver discrètement jusqu'au cœur du palais des elfes blancs avec tout le vacarme que fait cet appareil ? m'enquis-je, extrêmement sceptique. Nous devons déjà avoir été repérés !

— Il n'y a pas de problème ! Athanasios avait jeté un sort sur l'hélicoptère pour le rendre imperceptible de l'extérieur. Les elfes ne devraient en principe ni nous voir ni nous entendre.

— Euh, pourquoi ''en principe'' ? s'inquiéta Arthur qui se tenait si fermement à son siège que les jointures de ses mains étaient devenues blanches.

— Bah tu as lancé le sort il y a longtemps, alors j'espère qu'il fonctionne encore correctement. Il y a quelques ratés parfois, comme la fois où j'étais allé vous récupérer pour vous ramener à la maison, Tass' et toi après votre fuite des prisons royales. On verra bien de toute façon !

Arthur eut soudain l'air encore plus inquiet. Il se souvenait effectivement très bien d'avoir aperçu l'hélicoptère dans le ciel, même si à ce moment-là, à moitié drogué par le Prince Noir, il s'était figuré voir un dragon voler dans le ciel.

— Et pourquoi n'utilisez vous pas ce véhicule à chaque fois que vous avez besoin de vous déplacer ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Nous réservons ce mode de transport pour les urgences. Il ne faudrait pas en abuser. Absalom finirait par se douter de quelque chose. Sans compter qu'il est difficile de nous procurer du carburant. Mais concentrons-nous. Nous arrivons. Je vais me rapprocher le plus bas possible au-dessus de la cour.

J'osai jeter un coup d’œil en direction du sol. Les elfes vaquaient à leurs occupations. Aucun d'entre eux n'avait les yeux levés vers le ciel, ce qui était le signe que le sort d'Athanasios fonctionnait plutôt bien jusqu'à présent.

— Je ne vois pas Tassilon, s'angoissa Arthur qui regardait également par la fenêtre. Odoacre m'a dit qu'il avait le droit de sortir dans la petite cour à cette heure-là, normalement.

— Le prince est ici ! lança l'un des deux elfes qui surveillait l'autre côté.

Arthur poussa un profond soupir de soulagement.

— Essai de te mettre juste au-dessus de lui, ordonna-t-il à Katsuo. Nous lui lancerons alors l'échelle en corde.

— L'échelle ne sera pas invisible, précisa son ami. Tout le monde pourra la voir. A vrai dire, ce sera aussi plus simple pour Tass'. J'espère qu'il va réagir rapidement.

— Odoacre a pu obtenir un entretien avec lui et l'a prévenu.

— Très bien. Je ne peux pas descendre davantage. Lancez l'échelle maintenant !

Arthur et les deux elfes ouvrirent la porte de l'hélicoptère qui se trouva envahi par le vent et laissèrent tomber à la corde.

J'observai depuis ma place tout ce qui se déroulait sur le sol. Les elfes blancs s'agitèrent aussitôt en voyant cette échelle tomber soudain du ciel. Le Prince Noir ne perdit cependant pas une seconde et s'agrippa en un éclair à la corde.

— Soulève l'échelle et filons ! lança Arthur à Akiro, espérant de tout cœur que Tassilon était solidement agrippé.

L'échelle fut projetée vers le haut à la seconde. Les gardes elfes se précipitèrent vers le Prince Noir mais échouèrent in extremis à le rattraper. D'autres soldats sortirent leurs arcs. Quelques flèches frôlèrent de près Tassilon qui en sortit cependant indemne.

Arthur se rongeait les ongles avec impuissance en regardant son ami se balancer au bout de l'échelle. Une autre volée de flèches fut lancée, mais l'hélicoptère s'était déjà suffisamment éloigné pour qu'elles ratent largement leur cible.

— Je vais ralentir pour laisser Tass' monter, dit Akiro une bonne minute plus tard, alors que le palais des elfes blancs disparaissait progressivement du paysage.

A plat ventre devant l'ouverture béante, Arthur regarda son ami monter rapidement les échelons. Lorsqu'il fut arrivé au sommet, il lui tendit alors la main pour l'aider à monter dans l'appareil.

— Eh bien, vous en avez mis du temps à venir me chercher, grommela le Prince Noir en s'affalant sur le sol.

Amnesia. La geste d'Arthur Montnoir, livre 1 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant