Massicot, Brillard et Montaron, trois soldats d'une guerre perdue depuis le début errent dans la plaine. Plus de nouvelles du haut commandement depuis longtemps. Ils ont perdu tout contact avec leurs unités respectives.
Massicot, c'est un long et mince type qui n'a pas l'âme d'un soldat. Il s'est retrouvé là par hasard, embrigadé suite à un pari stupide. Brillard lui, c'est un engagé volontaire, c'est une tradition familiale en quelque sorte. Tous les Brillard qu'il a connu et tout ses parents ont toujours fait partie de près ou de loin de l'armée. Brillard se souvient de son enfance lorsqu'il admirerait les médailles de son père et de feu son grand-père. Montaron par contre, c'est personne c'est le soldat lambda, celui qui ne marque pas la guerre. Il est là par manque de bol manifeste. Il faisait ses classes et sa brigade a été précipitée dans ce conflit aux lendemains rieurs selon la formulation de la propagande officielle, sur les pancartes d'engagement. La déroute est totale. Comme l'armée était désorganisée, ils se sont retrouvés ensemble bon gré mal gré dans le même bataillon. Par le plus grand des hasards ils échappèrent au franc tireur et aux canonnades. Pour Brillard tout cela ne ressemble pas aux belles batailles traditionnelles que lui racontait son grand-père.
Ils marchaient depuis si longtemps qu'ils en avait presque oublié la raison. Leur équipement était loin d'être réglementaire aussi. Ils avaient égaré une bonne partie de celui-ci. Que s'était il passé, qu'est-ce qui avait décimé leur régiment. Et ce brouillard, cette purée de pois incessante. Ils s'étaient sûrement égarés suivant un chemin qu'ils n'auraient jamais dû prendre. Qui avait tiré le premier coup de feu dans cette confrontation? Plus personne ne se souvient. Massicot se demandait s'il était dans le camp des gentils finalement. C'est un peu absurde cette histoire de bons et de méchant, se dit-il, chacun pense sans doute qu'il est dans le bon camp et que les autres sont les Ennemis.
Les ordres interdisaient toute fraternisation avec l'Ennemi même dans les cas les plus exceptionnels. Fraternisation, il y en avait eu, comme pendant cette fête où un régiment avait chanté des chants dans sa langue tandis que les « autres » répondaient dans la leur. Dans les coins les plus reculés, des compétitions sportives avaient même été organisée jusqu'à ce que le haut commandement l'apprenne et des sanctions radicales furent prises.
Un homme sur 10, dans certains bataillon, particulièrement peu enclin à aller à la boucherie furent désignés et exécutés. L'idée de déserter traversa plus d'une fois la tête de Massicot. À quoi bon mourir sur le champ de bataille ou être exécuté par son propre camp : le résultat est identique en définitive sauf peut-être la privation de pension pour votre fils ou votre veuve. Mais était on encore en guerre?Ce brouillard qui n'en finit pas , la fatigue intolérable comme pour celle de ces pèlerins traversant des pays de part en part pour embrasser on ne sait quelles saintes reliques.
Cette douleur irradiant partout dans sa voûte plantaire irritait Montaron.« Montaron tête de con, Montaron tête de con» en pensait-il. Que n' a-t-il pas entendu cette « rime » lancée à la face dès sa plus tendre enfance.
Pourtant Montaron voulait bien s'amuser avec ses camarades de classe. Mais aux joutes sportives et autres activités de ce type, il préférait les livres. Pas de grands auteurs, non, mais des récits d'aventures le faisant à la fois chevalier, conquistador, explorateur ou aventurier à la recherche de l'on ne sait quel diamant perdu.
Montaron se souvient avoir emprunter des livres. On l'avait sommé selon le règlement , de les ramener dans les temps mais son père les avait trouvés sous son établi, et était entré dans une colère noire. Qu'il n'avait pas le temps de perdre du temps avec cela et son paternel avait directement jetés les dits ouvrages dans le feu ouvert. Montaron était persuadé que les autorités viendraient, un jour, le chercher lui ou son père ou les deux pour un tel « crime » .
Mais depuis, les autodafés était devenus monnaie courante peu avant la guerre.L'amende, la réclamation ou les gardes ne s'étaient jamais présentés à la maison mais Montaron en avait fait des cauchemars pendant des années.
Son père n'était pas un mauvais bougre mais perdre son temps dans un livre était inconcevable pour lui.
Les destructions d'ouvrages considérés comme subversif était devenue monnaie courante. On se fait à tous et puis tant que ce ne sont pas des gens qui brûlent ça va encore pensait Montaron pour se réconforter un peu.Cette purée de pois , Bon sang se disait Brillard comment être sur d'être dans la bonne direction. Ça tombe ils se dirigeraient droit vers les troupes ennemies. En tant que gradé , c'était à lui de prendre la direction du groupe mais il n'avait aucune confiance en eux surtout ce Massicot, qui lui faisait penser à un de ses anti conformiste peu enclins à recevoir un quelconque ordre.
C'est bien simple ce Massicot n'en faisait qu'à sa tête. Brillard était un haut gradé, il donc devait recevoir la meilleure ration lors du partage de la nourriture mais ce Massicot avait envoyé promener ce règlement indispensable au bon fonctionnement de toute armée digne de ce nom. Il avait effectué un partage équitable comme entre trois simples soldats.
Vivement que cette marche forcée prenne fin. Ce genre d'homme je le ferai passer en cours martiale fois de Brillard. Et si j'en avais eu la force je l'aurais mis ou pas, se disait le gradé, mais pour l'instant vu les circonstances il n'avait pas trop le choix.
Marcher, marcher et ne jamais s'arrêter. C'était cela ou peut-être se faire rattraper par les «autres».
Nul n'avais envie de passer des années dans les terribles geôles des ennemis : la propagande nationale avait dénoncé à juste titre à maintes reprises l'existence.
Mais nerfs sont à vif et surmenés pensait Montaron.
Il y a de sourdes tensions dans ce petit groupe, bien compréhensible vu le sentiment de débâcle et d'abattement généralisé. Autrefois tout se passait bien dans le meilleur des mondes mais aujourd'hui est-ce que le monde existe encore.
Y a-t-il seulement encore une ville ou un pays debout. Tout n'est plus que gravats et ruines. Et ce brouillard qui ne cesse et ne se dissipe pas. Montaron doute tellement qu'il finit par se mordre la lèvre supérieure à sang pour vérifier qu'il n'est pas en train de faire quelques sombres cauchemars idiots: « Mais qu'est-ce que je fais ici, finit-il par s'exclamer à haute voix faisant pratiquement sursauter les deux autres, qui gestuellement par un signe bien connu lui enjoignirent de garder un strict silence. Mais Montaron n'en peut plus et il continue à parler à haute voix, qu'il va s'arrêter de marcher, car il n'y a plus d' espoir. Qu'il fallait mieux être faits prisonniers plutôt que de souffrir de milles maux sans aucunes raisons valables. La fatigue physique n'est rien à côté du surmenage nerveux. Montaron, inconsciemment, aurait presque désiré que les « autres » apparaissent derrière un rocher noir pour les arrêter sur le champ et stopper ainsi leur douloureux périple.
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Les 3 soldats
Ficción GeneralTrois soldats perdus dans le brouillard cherchent à rejoindre leur camp. On suit les pensées de Massicot (l'anticonformiste), de Brillard (le gradé ) et de Montaron (le soldat lambda)