incipit

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Lui comme moi ne voyons plus le ciel en cet instant précis : l'Univers et son infinité d'astres, quelques uns devaient nous connaître auparavant et voilà que maintenant, les étoiles ne brillent plus tellement. Pourtant, j'en décèle une nouvelle entre les supernovas, près de Vénus mais si loin de Pluton, personne n'a de toute façon été un jour proche de la planète exilée mais ce soir, alors que la musique étourdit les cœurs et les âmes qui se trouvent aveuglées, JaeSun nous a placidement quittés.

Les esprits sont brouillés alors qu'il fait bon, la température enfiévrée d'une soirée qui embaumait la cité maudite d'un doux voile d'accalmie ne s'accapare plus les peaux qui frissonnent, pas de froid mais d'effroi, d'immense tristesse mais surtout de haine contre le monde, contre la balle échouée dans le thorax de mon frère, contre la flaque de sang dans laquelle il baigne depuis vingt minutes, contre ces mêmes vingt minutes de solitude et de turpitudes parce que personne ne vient l'aider, personne ne vient le sauver, contre sa respiration qui se fait de plus en plus faible au point où il ne peut plus parler, réagir, rien. La haine de constater qu'encore une fois et ce, depuis bien longtemps maintenant, l'ambulance ne se déplace plus pour nos morts puisque nous ne sommes plus humains, seulement tâches, seulement gêneurs parce que nous sommes issus de l'immigration, parce que nous ne sommes que des voyous sans avenir ni rien du tout ! Une peine incommensurable rejoignant les quelques personnes présentes à l'extérieur, sous le ciel noirâtre et sous les cris douloureux.

La musique semble s'abaisser, du moins n'attire plus les ouïes meurtries ; les genoux posés sur le béton brûlé, le cœur piétiné accroché au corps inerte qui perd un peu plus de vie à chaque seconde passée sans secours, sans personne : du début à la fin, personne n'aura su l'aider comme il en avait besoin parce que personne n'a rien vu, personne n'a rien su et voilà qu'à la porte de sa mort, il n'y a que très peu de vies ! Sa sœur ne s'arrête plus de pleurer alors que je lui avais promis de sécher chacune de ses larmes, son ami maintenant marié tente calmement de me réconforter tout en appelant, appelant, hurlant l'ambulance qui ne vient pas, toujours pas ! La dernière fille qu'il a tendrement aimé ne pleure plus mais sent une lourde colère émerger, émaner de son regard Méditerranée et puis enfin, sous un fracas que personne n'attendait, la première et seule fille qu'il a réellement aimé, de son cœur et de son âme en leur intégralité, de tout son être et qu'il n'oubliera jamais malgré la mort, malgré tout : la voilà qui court mais pas vers le ciel, plutôt vers le défunt en même temps que les sirènes se mettent à crier.

«–Ils arrivent enfin...
–SEULEMENT MAINTENANT ?!»

Les hautes tours de notre joli quartier refusent de nous protéger cette fois, nous narguent de leurs fenêtres ouvertes sur le petit groupe aux esprits lacérés, surtout sur le sale merdeux qui se lève en vitesse afin de s'approcher de ceux qui ont tué mon frère, JaeSun, le seul qui restait droit malgré toutes les galères qu'il avait et qu'il continuait de vivre, le seul qui cherchait réellement à vivre et qui s'en trouve privé pour quoi ? Le manque de connaissances me calcine, j'attrape un brancardier par le col afin de lui faire comprendre l'erreur commise, afin d'à jamais le maudire pour que jamais, ô grand jamais, l'âme du chinois ne soit calomniée davantage ! Le grand corps du Marié, sa joyeuse fête gâchée par cette sinistre tragédie, s'approche de moi pour m'éloigner du mec que je tiens fermement, avec haine et empressement parce qu'il doit payer, parce qu'il n'aurait jamais dû venir si tard !

«–ESPÈCE DE SALE FILS DE PUTE ! TOI ET TES COLLÈGUES, VOUS PRENEZ VOTRE TEMPS PENDANT QUE DES GENS CRÈVENT MAIS ÇA , VOUS EN AVEZ RIEN À FOUTRE ! NOS VIES NE SONT PAS TANT IMPORTANTES QUE CELLES DES AUTRES, C'EST ÇA ?!
–HASSAN ! ARRÊTE, ÇA SERT À RIEN !»

L'Amour inoubliable me fixe d'un air de pitié, de charité trop mal placée parce qu'elle devrait être en colère, elle devrait surtout mourir pour se racheter de ses fautes. L'Amour secondaire se redresse avec la Sœur détruite, sœur que j'étais pourtant censé protéger mais me voilà là, à hurler ma rage aussi bien aux ambulanciers qu'au ciel qui me nargue depuis son joli siège ! Le Vinz devenu Hubert avec le temps me force à lâcher l'homme, puis à me reculer bien plus loin pour tenter de me calmer mais il n'y a plus rien à calmer ! Il perd espoir, m'abandonne sur le bitume pour aller ailleurs et me voici seul, triste, en colère surtout mais peiné parce qu'encore une fois, même après la triste soirée du vingt-six février d'il y a cinq ans, rien n'a changé, aussi bien dans les coeurs qu'autour de moi : un être chétif qui perd tout ce qu'il approche, un être qui cherche à être aimé sans en avoir réellement envie, un être qui ne sait plus mais qui ne fait que geindre.

Un être perfide et miséreux qui n'est que dans la plainte, jamais dans la reconnaissance.

«Lève-toi, on va à l'hôpital avec eux.»

Un être malade qui aurait voulu être compris mais qui ne l'est jamais, pour qui les actes sont sans cesse diabolisés, inexpliqués, illégitimes à autrui mais tellement pour lui, pour moi ! Cinq ans d'extinction, cinq années où l'âme bercée par des illusions de joie se voit réveillée et quel réveil brutal, réveil en Enfer : le Soleil ne brillera jamais plus, je ne saurais pas m'en sortir dignement sans JaeSun.

L'Américain devenu vrai frère me fait signe de rejoindre sa voiture, j'observe une énième fois la cité maudite qui l'est encore plus, qui semble avoir pactisée avec le Diable pour nous faire endurer de telles choses : la mort, l'existentialisme, le rapport aux autres qui ne veulent jamais m'entendre ou m'écouter, faire semblant de m'apprécier pour mieux me ruiner ou m'aimer d'une puissance rarement partagée : les problématiques ne sont plus similaires mais sont empirées, il est temps de continuer ou, du moins, de persister sans que les choses ne soient forcément meilleures.

Ainsi, Hassan Yousfi ne fuit plus.
Il court vers le ciel noir, il noie sa propre altérité.

ALTÉRITÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant