vingt

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Les roues grondent contre le bitume, contre la longue route qui ne s'arrête plus : peut-être qu'à la fin de celle-ci se trouvera le plus beau des arcs-en-ciel ou du moins, une illusion d'arrangement.

Cinq heures du matin, les premiers oiseaux se mettaient déjà à piailler lorsque nous sommes arrivés mais au lieu de perdre notre temps à contempler ceux-ci puisque de toute façon, Joshua en aura tout le temps maintenant, nous sommes simplement entrés à l'intérieur de l'immeuble, puis dans l'enceinte de ce dernier grâce à la clé cachée derrière la plus haute boite aux lettres : Moussa n'a jamais changé ses cachettes. J'ai ouvert la porte de l'appartement, à peine le temps d'entrer que nous nous sommes couchés dans un coin pour dormir un peu, espérant oublier la misère de cette façon, espérant surtout ne jamais nous réveiller mais qui a déjà exaucé nos prières jusqu'ici ?

Sommeil profond, j'ai rêvé d'un champ vivifié : les tulipes se confondaient aux colchiques tandis que les chrysanthèmes fanaient sans s'arrêter à la vue d'un Soleil de plomb, presque meurtrier. Je courais vers ce champ dans l'ambition d'y retrouver mes amis mais il était vide, vide d'âmes si ce n'était de la mienne et d'une autre qui me suivait de près, trop près ; je ne la connaissais pas mais je n'avais pas peur alors j'ai continué de courir, courir vers les tulipes ou vers le ciel, certainement pas vers l'Enfer que je ne voyais même pas mais que j'entendais, les crépitements des flammes comme les cris des esprits torturés. Je me suis arrêté devant une fleur, elle semblait plus clair que les autres et quand je l'ai cueillie, elle m'a fondue dans la main et alors ! La foudre s'est abattue sur toutes les autres, sur le champ tout entier et lorsque j'ai voulu me tourner vers l'autre âme qui me suivait, celle-ci m'a attrapé la main pour me tirer vers les cris dépravés ! Ce n'est que lorsque j'ai réussi à m'extirper de son emprise que je me suis réveillé, regard porté vers les rayons solaires frappant à la fenêtre et que, sous une intense réflexion, j'ai reconnu le second visage qui était mien.

J'observe la vitre, elle paraît donner belle vue mais nous ne pouvons pas nous permettre d'observer le monde lorsque celui-ci nous cherche intensément : je me lève doucement du canapé où je me suis vulgairement assoupi pour rejoindre la fenêtre, devrais-je dire le petit trou à rat qui nous permet de survivre ici pour vite la refermer mais avant, le paysage me berce un peu. Des champs de blé au loin, des forêts ainsi que de petites maisons, je peux même apercevoir l'église du village se mettre à retentir : neuf heures du matin, les grillons paraissent pressés. 

Je ferme les volets avant de me mettre à inspecter l'environnement, les pièces comme les couloirs, même les tiroirs pour vérifier qu'il ne subsiste aucune trace du cher Moussa et comme prévu, il n'y a plus rien. Un salon délabré aux canapés de velours souillés, à la petite télévision ne semblant pas tellement fonctionner, une cuisine aux matériaux indispensables sans trop d'artifices, je me dirige vers la seule chambre où dort encore l'américain, chambre ornée d'un lit aux barres métalliques et aux stores abîmés.

Je ferme ses volets, j'allais attendre qu'il se réveille dans le salon mais il finit par le faire devant moi, me fixe un long moment comme s'il avait réellement tout oublié puis, sous un soupir douloureux, il finit par se redresser tout en portant une main à sa joue pansée. Je m'assois sur le rebord de sa nouvelle couchette, observant le miroir en face de nous disposé sur un miteux placard en bois, forcément rongé par les insectes au point où je n'ose même pas l'ouvrir pour vérifier. Et c'est en fixant mon propre reflet médiocre, le reflet d'un homme aux cheveux attachés en un misérable chignon défait après mon semblant de nuit, au survêtement de marque que je ne lâche jamais et au regard plus sombre qu'un ciel sans Uranus, que je constate avoir oublié toutes les affaires de l'américain et que, par conséquent, je vais devoir faire un nouveau trajet.

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