Cíqiǎo redresse la tête, se remet debout dans un craquement d'articulations et souffle pour soulager la tension dans ses épaules. Elle lisse les pans froissés de son chángpáo, cligne des yeux face au halo luminescent. Sa réticence à réveiller les souvenirs passés s'efface devant une curiosité que les années ne sont pas parvenues à émousser. Son attention est happée par celui qui les a si mystérieusement convoqués aujourd'hui, en ce vingt-quatrième anniversaire de son accession au trône. Deux parcours des rameaux terrestres. Nul doute que la date est sciemment choisie.
L'éclat rayonnant s'estompe quelque peu, mais Lumière Éternelle reste nimbé d'une aura dorée diffuse, rappel indéniable de sa nature divine. Cíqiǎo sent un frisson lui parcourir l'échine. En dépit du temps écoulé, elle reconnaît le visage anguleux et sévère de Tián Jiàn, la fine moustache tombante, la courte barbichette d'un noir satiné. L'image qu'il présente n'a pas pris une ride ; elle est même restée parfaitement identique à ce qu'elle était vingt-quatre ans plus tôt, avec la précision d'une gravure. Pas étonnant que les rumeurs aillent bon train dans les rues de la ville comme dans tout le royaume !
Cíqiǎo coule un regard en direction de Měifèng. La courtisane en soie rouge observe le roi de sous ses longs cils avec la méfiance d'un épervier devant une vipère. Son corps gracieux reste figé dans un maintien rigide, les lèvres pincées. Les trois autres hésitent dans un panel d'attitudes variées :
Hǔníng fixe le souverain, les yeux brillants d'une ferveur respectueuse ; Tāo regarde ailleurs, la tête penchée sur le côté ; quant à Zhúgāng, il marque un retrait avec une réticence prudente. Personne ne dit mot. Lumière Éternelle les contemple tous les cinq avec une expression indéchiffrable. Cíqiǎo en profite pour grappiller quelques coups d'œil autour d'elle.
Des paravents finement ajourés ornent les coins de la pièce. Aux murs, des tapisseries de soie dépeignent des scènes de la cour céleste sur le mont Kūnlún, avec l'Empereur de Jade entouré des principaux dieux. Une immense carte du royaume de Qí, foisonnante de détails, s'étale juste en face.
L'œuvre est réalisée sur cette pâte de bois dont les artisans de Línzı̄ gardent jalousement le secret et qu'ils appellent papier. Juste en dessous, une table surélevée en acajou laqué, flanquée d'un siège à sa hauteur, supporte une série de baguettes de bambou, sans doute couvertes de rapports des ministres. Sur un petit guéridon, un élégant plateau de go n'attend que ses joueurs. Seules deux pierres de jade polies y trônent face à face – une blanche, une noire. Une partie à peine entamée.
Couché sur une natte tressée, un chien somnole, la paupière entrouverte sur les visiteurs. Son oreille s'agite au raclement des pieds sur le parquet. Toutes les races canines semblent s'être donné rendez-vous sur cette grosse bête à l'ossature solide ; un mélange surprenant, quoique non dépourvu d'une certaine harmonie : l'archétype même du chien. Cíqiǎo reconnaît son
épais pelage brun-jaune, son long museau noir. L'animal paraît tout aussi immuable que son maître immortel.Le silence s'étire dans une attente inconfortable. Ce petit jeu de statue peut durer encore longtemps. Puisque Lumière Éternelle a pris soin de garantir l'intimité de cette entrevue, Cíqiǎo suppose qu'elle peut s'affranchir d'une partie du protocole. Elle s'avance d'un pas.
— Votre Majesté, nous voici à votre demande. En quoi de modestes sujets du royaume de Qí tels que nous peuvent-ils servir votre grandeur ?
Le regard pénétrant de l'immortel plonge aussitôt sur elle, ou plutôt en elle, comme s'il lisait ses moindres pensées. Cíqiǎo éprouve la désagréable sensation d'être mise à nue. Une enfant devant son père, un élève face à son maître. Sa poitrine se contracte ; sa bouche s'assèche. Elle déglutit et relève le menton. Ce n'est pas à son âge, après tout ce qu'elle a pu vivre, qu'elle va
se laisser impressionner par une démonstration de pouvoir.
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[Sous contrat] Les 5 soldats de bambou [T1 : Lumière Éternelle]
FantasyIls étaient sept. Ils avaient sauvé le Royaume. Les poètes chantaient leurs exploits aux confins du Zhōngguó, des steppes des hauts-plateaux jusqu'aux plaines baignées de rizières, des hauts pics enneigés jusqu'aux rivages d'ardoise de la mer Jaune...