Le banc du square Grimmaurd

8 2 0
                                    

- Atchoum !
Un petit garçon brun éternua, assis sur les marches du perron de sa maison. Il regarda la neige qui tombait sur les pavés de la route en doux flocons. Cela faisait maintenant deux jours que l'hiver s'était durablement installé à Londres. Tout était blanc, même les arbres, même les barrières des propriétés qui se ressemblaient toutes et qui paraissaient si calmes ces temps-ci. Malgré la tranquillité qui régnait, le garçon semblait mécontent ; son père et sa mère l'avaient encore disputé, et comme d'habitude, son petit frère n'avait rien pris, lui. Juste pour une histoire de biscuits ! Son frère avait eu le droit à deux moelleux au chocolat en plus et il s'était avisé de le commenter. Résultat, il était privé de biscuits pendant toute la semaine, histoire d'apprendre à ne pas se plaindre. Son frère cadet allait tout manger d'ici là, c'était sûr !
Il détestait sa famille. Sa mère était méchante avec lui, trop autoritaire et injuste ; elle cédait tout à son jeune frère. Son père suivait le pas et donnait l'impression d'être dépassé par les événements, si bien qu'il n'osait jamais contester l'éducation que prodiguait sa femme à ses enfants. Rares étaient les membres de sa famille qui lui témoignaient de l'affection, voire même de l'attention. Ils semblaient tous convaincus par sa mère qu'il était un mauvais garçon, pas comme son petit frère qui semblait bien plus prometteur. Seul son oncle Alphard paraissait deviner son potentiel et apprécier son audace. C'est d'ailleurs grâce à lui, ou plutôt à cause de lui, qu'il n'arrivait pas à se convaincre de quitter la demeure familiale, de fuguer.

- Bonjour.
Surpris par la voix enfantine, il releva la tête, arrêtant les symboles qu'il avait entamé de dessiner sur les marchés enneigées de l'entrée.
- Tu es le seul à oser braver la neige ici bas !
Le jeune garçon détailla celle qui venait de prononcer ces mots. Emmitouflée dans un large et épais manteau en coton marron clair semblable à une marinière, la moitié du visage cachée sous une écharpe rouge et l'autre par un bonnet de la même couleur, on ne distinguait que son nez, rougi par le froid, et ses yeux. Elle portait en dessous de son manteau une robe simple de petite fille sous laquelle dépassaient les dentelles de ses jupons. Ses collants en laine semblaient particulièrement chauds et ses bottines en cuir, toutes neuves. Il ne pouvait lui donner un âge compte tenu du peu d'indices dont il disposait.

- Eh bien, nous sommes deux maintenant, répondit-il par provocation.
- Je ne savais pas qu'il y avait d'autres enfants dans le coin. Et puis avec ce temps, seuls les plus téméraires - ou les plus fous - ont le courage de mettre le nez dehors, se défendit la petite fille. En disant cela, elle leva les mains en signe d'excuse, dévoilant des gants vraisemblablement tricotés à la main, rouges eux aussi.
- Donc je suis soit téméraire, soit fou, si j'ai bien compris ?
- Hmm... acquiesça-t-elle.

Le garçon réprima un frisson. Contrairement à celle à qui il s'adressait, il était vêtu très légèrement par rapport aux températures extérieures.

- Mais je pense plutôt que tu rentres dans la case « fou » parce que, pour être habillé comme tu l'es, et par ce temps, il faut faire preuve d'une incontestable folie, n'est-ce pas ?
- Euh... Ce n'est pas moi. Ce sont... mes... parents... dit-il, la mâchoire crispée par le froid et la colère resurgissant à cette pensée.
- C'est à dire tes parents ? Ce sont eux qui t'ont forcé à rester dehors !? s'exclama-t-elle, outrée.
- Oui. Enfin, c'est plus compliqué que cela. J'ai mérité d'être dehors, d'être puni, c'est tout.
- À en juger par la tête que tu fais et le ton que tu emploies, tu ne donnes pas tout à fait l'impression d'être d'accord avec leur sentence...
- Edith !!! cria une voix féminine dans l'épais manteau de la neige.
- Oh, mince ! Je dois déjà y aller, soupira la petite avant de faire demi-tour en courant.

Elle était partie sans le saluer, telle un courant d'air qui passe. Il ne lui avait pas dit son nom, mais elle lui paraissait bien sympathique.

Brèves au hasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant