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"-Bonjour Papa.

-Tu n'es pas le premier rigolo à me faire un canular.

-Cette fois-ci ce n'en est pas un.

-Bonne journée monsieur.

-Je suis né le 15 mars.

-Facile, mon fils est aussi mort un 15 mars, les journaux l'ont écrit partout : "L'anniversaire sanglant". "La bougie de trop", "Le cadeau empoisonné" etc.

-Tu m'as offert un vélo pour mes 10 ans.

-N'importe lequel de ses amis le saurait.

-Le dérailleur sautait sans arrêt. Tu passais tes week-ends à le réparer en vain.

-Ça se raconte ce genre d'histoire. Au revoir.

-C'est à cause de ce vélo que Maman et ma sœur sont mortes.

-C'était un accident de la route.

-Pas un simple accident. C'était un défi stupide. Je me revois crier haut et fort : "Je peux aller plus vite que la moto !" Et maman, qui a toujours été casse-cou, me répondit : "On va voir !"

-Quejzejrer... "

Mes doigts envoient une réponse tout seul... Il poursuit.

"-Ma sœur qui voulait être aux premières loges s'était installée sur le siège passager. Toutes les deux sans casque. C'était pour rigoler. Tu avais donné le départ de la course, le vainqueur devait être celui qui arriverait le premier au prochain croisement. J'ai foncé, maman avançait au pas pour me laisser de l'avance. Puis elle a accéléré un peu pour me rattraper. Je revois ma sœur me tirer la langue quand elles me dépassèrent. Et la camionnette du voisin qui sortait de son garage et s'engageait en marche arrière sur la chaussée. Moi à droite de la moto. La camionnette à gauche. Pas assez d'espace pour l'éviter. Un coup de frein. Une bande blanche encore mouillée de pluie. Le son de la taule qui cogne, du verre qui éclate, tes hurlements... et les miens. Tous ces sons me hantent encore aujourd'hui. Moins de trente kilomètres/heure, une moto dans un "mur", sans casque. Fatal. Comme tu venais de changer les plaquettes de frein toute l'enquête a tourné autour de toi. Personne n'a jamais su que c'était une course à la con dans la rue. Nous avions trop honte. Et ça ne paraissait pas important. Le voisin est tombé en dépression. Et nous avons déménagé. Pas de réponse, tu ne dois pas savoir quoi écrire. Ou peut-être es-tu parti. Je comprends que ça paraît complètement dingue. Mais c'est bien moi."

Impossible ! Le téléphone me tombe des mains, je m'attrape le crâne, je fonds en larmes, je ne comprends rien à ce qui arrive. Ça ne peut-être que lui ! Ou un espion extrêmement bien renseigné. Même si la course en vélo n'était pas un secret, personne n'aurait pu savoir tout ça. Je lis et relis en boucle la description de l'accident, que je connais par coeur. Je ne sais pas quoi répondre. Si c'est un énième canular il faudra dire que celui-ci est admirablement bien préparé, mais il faut que j'en ai le coeur net, je dois savoir si c'est bien mon fils, mort, qui m'écrit actuellement ou si j'ai un hallucination.

Ce qui est possible.

Tout me paraît possible finalement.

Je lui réponds.

"-Que vous soyez mon fils, ou un autre, j'ai besoin de savoir. Et puis de toute façon je n'ai pas grand chose de prévu, je n'ai plus de famille, plus d'amis et plus de travail. J'ai du temps à perdre.

-Très bien, alors donnons-nous rendez-vous demain à 21h.

-Pourquoi pas ce soir ?

-Demain. 21h.

-D'accord. Où ça ?

-Je t'enverrais un itinéraire par téléphone. A demain.

Je ne recevrai plus aucun message de sa part jusqu'au lendemain 20h15, un trajet pré-établi partagé à l'aide d'une application. Après avoir passé la journée à tourner en rond, à lire et relire indéfiniment ses messages à me poser deux cents mille question, je m'y rends. J'arrive un peu avant 21h, et j'observe autour de moi. C'est une zone industrielle, il n'y a rien de spécial qui attire mon regard. Des hangars, des hangars, des hangars... je vais surement me faire tuer.

Quel con. Pourquoi suis-je venu ?

Oh puis après tout, ce serait mérité après ce que j'ai fait.

Mais quand même.

Mon instinct de survie se bat contre ma culpabilité depuis plusieurs mois. Et ce soir encore.

20h59, toujours rien à se mettre sous la dent. Et soudain à 21h pile, on frappe à ma vitre. Je sursaute violemment, je n'ai vu personne arriver. Une fois mon esprit remis dans le bon sens, je jette un coup d'oeil et je reconnais immédiatement l'homme qui se tient devant moi...

Il m'avait vendue une tarte au citron le jour où j'ai tué mon fils !

Pourquoi j'ai tué mon fils.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant