Chapitre 9

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Après l'incident, alors que les deux garçons - exténués par tant d'émotions- s'étaient endormis sur la pierre fraîche du toit, ils furent réveillés par Kaji-sensei, venu pour fumer. Ils s'en sortirent avec un avertissement de sa part et une leçon de morale par leurs professeurs respectifs. Une leçon seulement, car Kaji n'était pas bête, et devina la situation.

《 J'ai été gamin, moi aussi, avait-il dit, songeur. Je dirais rien aux autres profs, alors tâchez de pas recommencer vot' bordel. Et toi Ikari-kun, tâche de te trouver un psy, jveux pas de décès parmi les mômes.》

Et il inspira une bouffé de sa cigarette, les yeux dans le vague. On put y lire une profonde nostalgie, avant qu'un léger sourire vienne épouser son visage. Kaji était de ces personnes qui n'avaient jamais grandis, qui étaient restées en enfance pour fuir le monde. Ca n'était pas plus mal.

De retour chez lui, Shinji ne dit rien à Misato malgré ses questions insistantes. Tout ça faisait partie de son jardin secret. Lorsque pointa la nuit, il ne parvint pas à s'endormir. Il ne faisait que repenser à l'étreinte désespérée de Kaworu. Jamais il ne l'avait vu dans un pareil état. Alors qu'il peut encore sentir son souffle haletant dans son cou, et les larmes chaudes sur sa peau, son corps est parcourus de frissons, un sourire étire ses lèvres, et peut même sentir son visage chauffer. Mais qu'est-ce que j'ai ces temps ci ? Shinji se doutait que tout cela dépassait un simple sentiment d'amitié, même très prononcé. Mais il refusait de l'admettre. La peur du rejet était trop grande.

Les jours qui suivirent, les deux garçons étaient plus complices que jamais. Ils mangeaient ensemble le midi, s'attendaient après les cours, et s'échangeaient quelques textos le soir. Oui, tout allait pour le mieux. Jusqu'à ce que l'inévitable se produise.

En pleins cours, alors que Shinji attendait avec impatience la sonnerie, le Mal entra dans la salle sans frapper. Un silence glacial s'installa, avant que sa voix rauque ne le brise.

《 Ikari-kun, veuillez me suivre dans mon bureau je vous prie》

  Ca y est. Il l'avait lu. Il avait lu l'entièreté du carnet bleu.
Ils entrèrent tous deux dans le bureau, et, comme la dernière fois, Shinji resta debout. Le proviseur s'installa quelques secondes, et prononça les mots fatidiques.

《 Ikari-kun, tu es gay ?》

Blanc.

《 G-gay ...?

- J'ai lu le carnet 》

Silence.

《 Mais qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

- Nagisa-kun doit l'être aussi, il m'a toujours paru suspect.》

Mais de quoi parle-t-il ?

《 EN PLUS D'AVOIR UN INCAPABLE DE FILS, J'APPREND QU'IL N'EST PAS NORMAL !? 》

Pas normal ?

《 Tu es une abomination Shinji .》

Une abomination ?

《 J'aurais dû dissuader Yui de te garder, monstre.》

Monstre...

《 Je vais demander à Misato de t'envoyer en maison de correction ou en asile...》

Shinji n'entendait plus. Il n'était pas normal ? Mais en quoi différait-il de quelqu'un d'autre ? Il n'était même pas certain des sentiments qu'il éprouvait envers Kaworu.

  《 Mais, je ne suis pas gay !》 l'interrompit Shinji .

  Gendô cessa de parler, perdu de par les propos que tenait son fils.

  《 Je ne comprends pas... même si je l'étais, en quoi est-ce que cela ferai de moi quelqu'un de monstrueux ? L'amour qu'on porte à quelqu'un, ça reste de l'amour non ? Ne serait-ce pas l'une des caractéristiques qui, justement, nous rend humain ? Vous aussi, vous avez aimé, vous avez aimé ma mère. Mais ce n'est pas le fait de l'avoir aimé qui fait de vous un monstre. Vous êtes celui de nous deux qui est le plus fou. Fou de rage après avoir été fou d'amour... 》

  Avec la plus grande des innocence, Shinji venait de lui tenir tête, pour la toute première fois. Ces mots, qui venaient du cœur, ne pouvaient être défaits. Comme un enchantement, ces paroles sincères dénués de haine firent taire le plus âgé, totalement abasourdi.

  《 Vous êtes un monstre car vous n'êtes plus capable d'aimer. Et croyez bien que j'aurais pu en devenir un aussi si je n'avais pas rencontré Nagisa-kun. Comme maman pour vous, je suppose, il est celui qui me tire vers la surface quand je me noie, ma lumière lorsque je me perd dans les ténèbres, mon oxygène quand je suffoque, celui qui coupe la corde à mon cou, qui fait disparaître mes cicatrices et sèche mes larmes. Si tout cela vous dépasse je n'y peut rien, et cela m'importe peu, au final. Vous ne m'avez jamais aimé, et je n'ai plus besoin de chercher en vous l'amour d'un père, si je peux avoir celui de Nagisa-kun. Si tout cela signifie que je suis gay, alors soit, je le suis, et jamais rien ne m'avait apporté tant de bonheur que de l'être. Restez-donc du côté sombre, moi j'avance vers la lumière, qui me rendra plus humain que je ne l'ai jamais été, et que vous ne serez jamais.》

  Sur ces dernières paroles, il s'approche du bureau, s'empare du carnet bleu, et se dirige vers la porte afin de sortir de ce maudit bureau. L'homme ne dit rien. Sans violence, sans avoir une fois haussé le ton, le jeune garçon réussit à le terrasser. Il ne pouvait rien faire, n'avait aucun arguments. Car son fils avait raison, et avait lu en lui comme l'homme avait lu le carnet bleu.

  《 Bonne journée, Ikari-sensei.》

  Désormai, tout était clair. Shinji aimait Kaworu. D'un amour profond, sincère et pur. D'un amour qui lui donnait des ailes, qui le rendait plus fort. D'un amour, qu'il n'imaginait pas réciproque... qui lui teintait les joues à chaque contact visuel, qui lui brûlait les oreilles au son de cette voix douce comme du velours, un amour incandescent qui malmenait son cœur, ... un amour incarnat.

Kawoshin - Incarnat - Où les histoires vivent. Découvrez maintenant