Ecole de l'ordre

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-Mais ! Monsieur ! Vous ne vous rendez pas compte de l'importance de cette découverte !

-Cela suffit jeune homme. Vous serez reclus jusqu'à la fin de l'année aux cachots, vingt coups de fouets par jour.

-Ecoutez, juste...

-Cinquante !

-Mais...

-Dois-je vous rappeler que vous avez incendié la moitié du bâtiment ? La fureur des flammes a failli anéantir tout le domaine ! Estimez-vous heureux que je ne vous mette pas à mort sur le champ !

-Monsieur, les flammes n'ont touché que ma chambre, et voilà quinze ans que je suis votre élève, pitié !

-Voilà quinze ans que je vous supporte, vous et votre bêtise, vos "expériences" sont dangereuses, vous comprenez ? Vous êtes un danger pour la société, un moins que rien, un rat qu'on fauche à la première occasion ! Comment ? De la compassion ? Vous devriez avoir honte d'exister !

Le proviseur lui assénait sans cesse des coups toujours plus violent, l'un deux, dans la tempe, sonna l'élève qui, finalement... vacilla. Deux autres élèves arrivèrent pour ramasser le corps sans sourciller tandis que l'homme, fumant sa pipe laissait entendre "même pas capable d'encaisser". Tout son mépris, toute sa haine qui ne connaissait aucun égal imprégna définitivement la mémoire du blessé.

Arrivés dans une petite salle, les brancardiers de fortune le posèrent sur un lit, il était dix-huit heures, et Cythause, l'élève entamait une descente aux enfers. Quelques heures plus tard un infirmier vit le triste spectacle : un jeune de dix-neuf ans... un gamin, se tordait de douleur sur des draps imprégnés de sueur, de sang et d'urine. De son visage boursouflé ne se démarquaient que clairement ses yeux, perdus dans un océan d'informité dont quelques larmes s'échappaient. Eclairées par un halo de lumière de lune, le docteur admirait leur déchirante chute, qui, finissait toujours, inexorablement, par l'impitoyable anéantissement de chacune d'entre elles sur le carrelage, glacial à cette époque de l'année.

Le médecin commença à panser les blessures, laver les plaies, il ne fallait pas qu'il crève au trou d'une infection, ça ferait tâche dans cet établissement d'excellence. Mais la tâche pourrait bien être impossible qui sait les dommages faits à l'intérieur de son corps, s'ils sont semblables à ceux de l'extérieur, on ne lui donnerait pas la nuit à survivre.

Alors qu'il lui passait un linge humide sur son front il entendit des imperceptibles bribes de mots. Probablement avait-il mal, il lui administra le liquide d'une plante, le pavot somnifère, qui a pour fonction de réduire la douleur. Mais le jeune homme disait "évadez-moi, je vous en supplie", son soigneur l'avait déjà vu plus d'une fois à l'infirmerie...

"C'était un brave, ingénieux comme pas deux, ingénieux... et innovant, c'est peut être ce qui a causé sa perte me direz-vous... C'était un original ! Futé, rapide dans l'esprit, il était ouvert sur l'autre, un véritable explorateur ! Un analyste hors-pair, curieux et capable de résoudre des défis toujours plus compliqués.

Nul ne pourrait le contester !

Rappelons-nous de ce débat avec Solas d'Irnos, le meilleur coureur du Nold entier. Solas faisait l'éloge d'une supériorité incontestable du corps sur l'esprit, il disait que la supériorité présumée de l'esprit est une invention fourbe des faibles pour dominer les forts. Ce contre quoi Cythause s'était révolté, lui, défendait l'idée que son esprit, par le simple alliage entre savoir et imagination, pouvait parcourir bien plus de distances que le meilleur de tous les coureurs. Ils se défièrent sur cinq-cent mètres, Cythause gagna haut la main avec deux-cent mètres d'avance ! Fameuse invention, n'est-ce pas ? La "bicyclette", preuve était de son génie.

Même si en réalité, aujourd'hui je vous le dis, cette invention est la mienne je lui accorde volontiers puisque je l'aimais comme mon fils. Et puis toujours est-il qu'il l'avait promis, dans sa chambre résidait des inventions bien meilleurs ! Quel dommage que l'incendie, provoqué par l'une de ses expériences, duquel ses blessures lui provoquèrent la mort, ravagea toutes ses promesses en cendres, qui sait, peut-être aurait il pu changer la face du monde...

Aux grands esprits la patrie reconnaissante."

Ce sont les mots que dit le proviseur devant la tombe du jeune Cythause.

CythauseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant