Je n'arrive pas à dormir, c'est récurrent ces derniers temps. Le visage de John me rend visite toutes les nuits. A chaque fois il pleure. Il dit toujours la même chose. Ça va aller. Dix jours sont passés, et je ne suis toujours pas convaincue d'avoir pris la bonne décision. Il y a peu de chance que je sois un jour d'accord avec son choix, mais je le respecte. Il voulait rejoindre celle qu'il aime. Si Elia m'avait dit que c'était Austin, ce garçon à qui un garde a tordu le cou de sang-froid, alors j'aurais certainement fait la même chose. Mais ce n'est pas le cas, Austin est sûrement encore en vie. Je dois le sauver. Je dois le sortir de là, lui et tous ceux qui se sont faits avoir par la Ville.
Dans toute cette histoire, quelque chose me perturbe encore. Ce garde, qui a marchandé avec nous pour garder quelqu'un afin que les trois autres puissent sortir de la Ville, il a dit qu'on faisait quelque chose de bien, ou du moins qu'il le croyait. Je me demande si tous les gardes sont au courant de ce qui se passe dans le Refuge. Je suppose que oui. Mais ce n'est pas tout, je m'interroge : que s'est-il passé une fois qu'il a tué John ? Qu'a-t-il pu raconter ? Et s'il avait donné nos descriptions, de Mac, Liza et moi, et que nous étions désormais recherchés ? Est-ce qu'on devrait fuir du Système, loin ? Je suis perdue. Je suis fatiguée. Le sommeil ne vient jamais. Voilà à quoi se résument mes nuits depuis que nous sommes rentrés. Je n'arrête pas de me torturer l'esprit. Je me sens tomber, loin, avec l'impression que jamais je ne pourrais me relever. Une partie de moi est morte là-bas, de l'autre côté. J'aurais dû savoir que je ne m'en sortirais pas indemne.
Dehors, il n'y a pas un bruit. J'entends à peine une chouette hululer de temps à autres. Il fait noir. Mes pensées se sont accordées au paysage : c'est triste, douloureux et infernal. Je souris, ironique, parce qu'en voilà une chose comique, je n'ai pas eu besoin d'entrer dans le Refuge pour vivre mon enfer personnel. Ici, dans ce hangar, à me cacher des autorités, je me sens comme une folle enfermée, dangereuse pour les autres et surtout pour elle. Oui, je ne suis qu'une cinglée qui ressasse sans cesse les mêmes histoires. Je me vois tomber, mais jamais je n'essaie de me relever. Alors je sais ce que je dois faire. Si je veux m'en sortir, je dois aller autre part. Je dois quitter ce hangar, le temps de quelques minutes, quelques heures tout au plus. Peut-être que je ne reviendrais pas, rien n'est jamais sûr.
Je jette un œil au travers d'une fente dans la taule. Malgré la nuit, on peut voir le soleil qui cherche à poindre le bout de son nez. Si je veux sortir sans me faire repérer, c'est maintenant ou jamais. Je choisis la première option : ce sera maintenant, tout de suite. Je saute de mon lit, ramasse les quelques vêtements étalés au sol et les enfile. Me voici prête. Je ne sais pas trop où je vais aller. Je n'ai pas de plan précis. Je vais déambuler dans la Banlieue, peut-être même que j'irais jusqu'au Mur. J'improviserai le moment venu.
Les portes du hangar sont lourdes. J'ai du mal à les ouvrir, mais je finis par y arriver. Je me rappelle : je finis toujours par avoir ce que je veux grâce à ce mantra que maman nous répétait toujours quand on était petits : Insiste, persiste, et signe. C'est le seul moyen d'y arriver, et ça marche. Elle me manque, ma mère. Je ne m'en rendais pas vraiment compte jusqu'à maintenant parce que je n'y pensais plus. Mais là, j'ai sa voix dans ma tête, et je me rends compte que son visage est en train de s'effacer dans mon esprit. Je sais qu'elle est brune, et que mes yeux sont un copier-coller des siens. Je me souviens de ses petites taches de rousseur sur les joues, j'aurais tellement aimé les avoir. Mais à part ça, les détails s'en vont. Je n'arrive pas à me rappeler de la forme de son nez par exemple, ni si sa peau est plus claire ou plus foncée que la mienne. Il faut que je la vois. Je dois revoir mes parents. J'ai trop peur de les oublier.
Il fait vraiment froid cette nuit. Je n'ai pas pensé à prendre de quoi me couvrir, alors je marche vite. Un doigt de pied, ici, c'est très vite égaré. Je me frotte les bras et je piétine quand je tremble trop. Aller jusqu'à ma vieille petite maison ne m'a jamais semblé aussi dur. Je me rends compte que mes décisions sont vraiment très vite prises, peut-être même trop vite prises. Je ne réfléchis pas assez. Et s'il y avait une surveillance autour de la maison au cas où je revienne ? Et s'il y avait un garde qui attendait pour me cueillir ? Certes, ça paraît peu probable, mais ça peut toujours arriver.
Presque un mois est passé depuis la dernière fois que j'ai fait ce chemin. Je passe devant le petit bâtiment qui sert d'école. Il y a aussi l'endroit où vit cette dame un peu bizarre qui arrive à nous faire des vêtements avec trois fois rien. Plus loin, j'aperçois la maison de ce monsieur qui récupère tout ce qu'il trouve de correct dans les poubelles de la Ville. Je me dis que c'est triste, la manière dont on vit tous ici, aux dépends de la Ville, loin d'avoir la vie dont on rêve, puis je me dis qu'au moins ici on vit face à la réalité des choses. De l'autre côté, les Citoyens sont parfois bien plus malheureux que nous, et dans le déni quant à leur situation. Pourtant, tous les habitants du Système sont ignorants de la réalité concernant la Course, et c'est certainement ça le pire. Je me rassure comme je peux tout en continuant d'avancer dans le dédale de ruelles. Il n'y a que nous, les banlieusards, qui pouvons connaître ces passages entre les maisons et les petits commerces, alors même si un garde est à ma recherche il ne pourra jamais me voir. Je sais me cacher, je sais devenir invisible. Et surtout, je suis rapide. La preuve en est : il m'a fallu moins d'un quart d'heure malgré le froid et l'absence de lumière avant d'arriver devant ma maison. Il faudra que je remercie Mac si je reviens en vie au hangar.
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Le Refuge - Sauvetage
Science FictionDans le Système, il y a plusieurs événements tous les ans, pourtant il n'y en a qu'un dont on entend vraiment parler : la Course. Cette compétition rassemble des dizaines et des dizaines de personnes chaque année au printemps. Il s'agit de l'événeme...