« Et si votre âme sœur se trouvait dans les bras d'un autre ? » clame une affiche sur la porte vitrée de l'accueil. L'illustration, une fille recroquevillée et en pleurs contre la brique d'une ruelle pluvieuse, me rappelle ces vieilles pubs démodées qui escroquaient les sentiments boiteux des adolescentes au 7 13 13. Une seconde image propose d'aller dénicher l'amour de sa vie au bout du monde. Entre nous, le partenariat avec une organisation de voyages se remarque comme mes kilos en trop dans un jeans taille basse.
L'agence matrimoniale loge à proximité des Champs-Élysées, dans l'un de ces bâtiments haussmanniens à la pierre vieille de plusieurs centaines d'années. Un grand hall parsemé de sofas gris s'étire derrière les portes en bois massif. Sa lumière crue dessine de petites lignes blanches sur le pétale des fleurs en plastique disposées un peu partout. Sur les murs, de nombreux posters vantent les exploits du service interne ou décrivent la procédure d'inscription. Près du renfoncement qui semble mener à l'espace réservé au personnel, je distingue un planisphère recouvert de punaises rouges. Des filiales à l'international, donc.
Cette décoration apaisante ne suffit pas à calmer les visiteurs, car l'un d'eux secoue ses papiers devant une élégante secrétaire en tailleur beige.
Faisant fi du logo avec un arc et une flèche en forme de cœur, je prends mon courage à deux mains, le casque de scooter sous le bras, et entre à l'intérieur malgré le client qui continue de postillonner sur la trentenaire au chignon irréprochable. Et pour accompagner la grosse voix du bonhomme, les feuilles claquent contre le comptoir au rythme de son assaut verbal.
— Vous avez entraîné ma femme dans vos locaux ! hurle-t-il, chaque nouveau mot ponctué par un grognement de rage tenant plus du phacochère que de l'être humain. Ma femme. Vous comprenez ce que ça signifie ? Elle est déjà mariée !
Ben voyons. Une entreprise spécialisée dans le harponnage des poissons en ménage, on aura tout vu.
La réceptionniste ne paraît pas tellement embarrassée par ces reproches. Elle s'avachit sur une paume et toise son interlocuteur par-dessus les verres en triangles contre lesquels se reflète l'écran de son ordinateur.
— Écoutez, je n'ai pas que votre réclamation à traiter. Et puis votre femme vient d'engager une procédure de divorce, si je ne m'abuse.
Je serre le paquet contre mon ventre. Comment peut-on encourager l'adultère et plumer les gens d'une façon aussi dégueulasse ? Comment peut-on abandonner cet homme à son propre chagrin, à cette colère pourtant si légitime, dans un simple haussement de sourcils condescendant ?
Le moindre incident de ce genre me ramène à François et à ses aventures d'un soir que je faisais mine d'ignorer. Quand la place se libère enfin, j'ai les nerfs en ébullition.
— Bonjour, me forcé-je à articuler gentiment. Je viens vous apporter un colis livré par erreur.
— Soit, soit. Veuillez prendre un ticket et attendre votre tour.
Elle ne daigne pas lever les yeux vers moi une seule seconde. Je tapote sur le comptoir pour attirer son attention :
— Dites donc, c'est une faveur que je vous rends, madame. Si vous croyez que je vais poireauter pendant des heures, vous vous foutez le doigt dans l'œil.
Quoique j'aurais aimé lui suggérer un endroit différent où se le foutre. Abasourdie, la secrétaire inspire et commence à retirer sa monture – plus facile pour se mettre un doigt dans l'œil, en effet – lorsque des bruits de pas retentissent depuis l'extrémité du couloir adjacent.
Un gars à la carrure fine et élancée s'avance jusqu'à moi. Son index de pianiste remonte ses lunettes pour mieux lire l'étiquette du colis qu'il me chipe des bras.
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Le Complexe de Cupidon | ✓ [PUBLIÉ SUR AMAZON]
RomanceDepuis quelques jours, Charlie est au fond du trou. Son activité de wedding planner peine toujours à décoller et son petit ami vient de la quitter pour une autre. Déprimée, Charlie regarde ses rêves d'une vie bien remplie s'envoler depuis son studio...