Chapitre 3 - L'Ours

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Le bruit du ressac des vagues le berce alors que du sable lui pique le visage. Il tente de bouger mais il est engoncé dans son armure qui lui bloque le cou dans une position inconfortable. Une vague plus longue et forte le submerge et le guerrier se ballotte sous les flots comme un vulgaire tonneau éventré.  L'eau s'engouffre sous les plates de son coffret de poitrine, l'alourdit et l'enfonce davantage sous l'onde. Galenn tente de prendre appui sur ses mains, mais une nouvelle vague l'envoie valdinguer comme un simple caillou.  

Je dois me dépêtrer de mon armure, sinon je coule au fond de cette marée montante. 

Ramenant ses bras croisés contre sa poitrine, il profite de la vague suivante pour se rouler plus haut sur la berge de cet océan ou de cette mer. Retenant un cri de douleur, alors que ses côtes et ses poumons se retrouvent coincés sous son armure cabossée, il réussit enfin à s'éloigner du ressac et se remet sur son séant, le regard tourné vers le large.

Où suis-je donc tombé ?  Quel rêve intriguant.  Voilà longtemps que je n'avais pensé à ma Breïss Leylias.

Avec sa main, il tente d'atteindre son cou mais décidément, son armure lui nuit davantage qu'elle ne l'aide. Il commence donc par en enlever les attaches le plus rapidement possible. Personne pour l'aider... les cordons derrière les bras devront attendre. Il se tord les épaules, détache les côtés et se tortille en retenant son souffle pour faire passer l'ensemble du torse par la tête. Après quelques minutes de contorsions, il se retrouve en simple manteau de cuir par-dessus sa chemise de tissu blanchâtre, souillée de sang et de sueur. Rapidement, les plaques de ses cuissardes et de ses jambières se retrouvent aussi en un tas brillant, sale et bosselé, près de lui. 

Il inspire avec précaution pour détecter d'éventuelles blessures au torse. Probablement quelques côtes fêlées, mais rien de fracturé.  Seul le temps aidera, il en a l'habitude. Il constate aussi une blessure à l'abdomen et une autre à son bras.  Elles piquent et saignent doucement. Rien de grave, mais tout est imprégné de sang séché ou frais, de poussières, de sable, de crasse et de fibres de tissu. Il se redresse sur la plage, enlève son manteau et ses jambières de cuir. Il déchausse également ses bottes et se retrouve, pieds nus sur la plage de sable blanc qui s'étend devant lui. Attiré par le reflet du soleil qui se lève à l'horizon et se mire sur l'eau, il avance dans les vagues jusqu'à ce que celles-ci atteignent ses cuisses. D'abord timidement puis à grands fracas, il s'asperge d'eau saline pour se laver de tous les derniers événements. À chaque mouvement de ses mains dans l'onde, c'est la douleur qui s'amenuise, la fatigue qui s'enfuit, son acuité qui revient. Avec un grand élan, il s'immerge dans une vague, ses longs cheveux noirs flottant comme des algues, avant d'en ressortir, les bras tendus vers le ciel clair et bleu. Sa silhouette de bronze se découpe sur le bleuté sans fin des lieux.

Comme je me sens revivre dans cette eau. Mais d'où vient-elle ? J'étais sur un champ de bataille, assis sur le destrier de l'Homme bleu, puis cette brume... J'ai dû perdre conscience et voir en rêve Leylias qui me donnait...

Ses mains se portent à sa gorge et rencontrent un cordon de cuir. Il le soulève pour trouver le petit sac de son songe. Il revient sur la plage le plus rapidement possible, en évitant d'y perdre pied et de s'étaler de tout son long. Revenu à son point de départ, il se laisse tomber lourdement près de ses effets.
D'une main fébrile, enfin libérée des taches de sang et du combat, il ouvre le sac et retrouve au creux de sa main l'anneau vert et luisant. 

Je n'ai donc pas rêvé ! J'ai vraiment revu Leylias dans mon corps de jeune enfant. Par les Dieux et le ciel ! C'est impossible. Ma Breïss est morte devant moi aux portes du village détruit et ... ce feu !

Le lourd souvenir remonte sans prévenir à la surface de sa conscience malgré sa tentative constante de l'ensevelir dans l'oubli :

Sa Breïss, courant, armée et harnachée sur son cheval, quittant la hutte avec précipitation en lui intimant l'ordre de demeurer à l'abri. Hésitant, il a ensuite décidé de la suivre de loin.  Mais lorsqu'il est arrivé au village, les palissades étaient déjà tombées, les maisons et bâtiments communs en feu.  Et là, au milieu du tumulte, sa Breïss tentant de protéger ceux qui étaient encore en vie. Elle combattait comme une furie, avec les quelques villageois aptes au combat, ces derniers en nombre de plus en plus amoindri. Les attaquants n'avaient aucune pitié. Ils étaient grands, forts et nombreux. Pourquoi s'en prendre au village ?  L'emplacement près de la rivière, les ressources de la forêt, les petits trésors des grottes du sous sol ? Ou simplement le goût de la conquête et de la soumission ?

Galenn - Le chemin des PierresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant