Chapitre 1 - L'Homme Bleu

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Le souffle court, il s'arrête un instant et réalise qu'il se retrouve au centre d'un amas de corps. Des siens et des leurs...

Un amalgame de chair humaine, d'armures de cuir ou de métal, de sueur, de sang et d'étendards. Au loin, dans son champ auditif, il entend le murmure et les tintements de la bataille qui se poursuit, ponctuée par les ordres lancés par les hauts gradés et les plaintes de ceux qui agonisent. Par sa visière, il observe ses mains gantées qui sont striées de sang : le leur, le sien ? Peu importe. Voilà longtemps qu'il a cessé de scruter les visages en quête de physionomies connues. De toute façon, depuis quand Galenn se soucie-t-il de se souvenir des visages de ceux destinés à mourir ?

D'autres ennemis à la peau bleuâtre se dirigent vers lui. Reprenant conscience du moment présent, il reprend son combat. Dans des mouvements de balancier, de hachoir, de fin du monde, ses deux mains s'accrochent au pommeau de sa longue épée, semant le désastre et la mort. Parfois, il entrevoit un regard bleu ou brun qui s'éteint, dans un sursaut de lucidité, lorsque son adversaire réalise sa dernière seconde de lumière de vie venue. Le temps d'une pensée, d'un maudissement ou d'une prière, le tranchant de Fidèle, l'épée de Galenn envoie une âme de plus vers un au-delà, espéré ou non.

Pour l'esprit de l'homme qui assène le coup mortel, c'est clair, aucun espoir d'un autre monde, d'une après vie.  Il y a réfléchi souvent, depuis le temps qu'il se retrouve sur les champs de combat, et si vraiment il y a quelque chose après, il lui semble logique qu'il l'aurait entrevu. Tous les regards qu'il a éteints de son épée, de son poignard ou même de ses mains nues : aucun d'eux ne lui a donné un seul indice, aucune mince brume d'âme, ne serait-ce qu'un murmure ou un son. Aucune preuve.

Il n'y a rien.

Il ne sait pas combien de vies il a ainsi soustrait de ces terres, depuis le temps qu'il donne son bras invincible à qui veut bien le payer en argent sonnant ou en pièces dorées. Car voilà le talent de Galenn : le combat. Il est un terrible adversaire et n'a jamais été vaincu. Oui, son corps en porte des traces : des blessures vilaines, des cicatrices variées qui racontent son trajet de combat, de guerres, de vie de battant.

Galenn est un mercenaire endurci, depuis sa tendre jeunesse, c'est son gagne-pain, son quotidien, sa survie.
Un adversaire à la fois, un combat après l'autre, pour un roi, un empereur, un régent, un duc ou un général. Du moment qu'il conserve sa liberté, il s'engage avec le bruit des pièces sonnantes dans sa bourse. Et il dégaine son épée, sa lance, son arc ou ses poings.

Voilà sa vie. Il ne se pose pas de questions. Il a oublié le reste, il n'y pense plus. Tout se mesure en stratégies, en embuscades, en sièges, le tout formé de coups d'estoc et de pic, en attaques et esquives. Ensuite, les pièces, aux effigies variables selon les lieux et les origines, bien à l'abri dans sa bourse, il ira boire pour se désaltérer et pour assourdir ses douleurs, ses rêves et ses espoirs. Peut être une femme l'accompagnera dans sa nuit avant le retour au combat ou la chevauchée vers le prochain champ de bataille.

Il abat son épée sur un autre ennemi, un autre cœur. Il enjambe une montagne de corps qui lui barre le chemin et c'est là qu'il voit celui dont la mort fera cesser ce combat. Le tuer permettra à celui qui l'a engagé de devenir victorieux et à lui-même de s'enrichir et de gonfler sa gloire de guerrier. Galenn s'en approche, en éliminant les rivaux comme on ferait le labour d'une céréale mûre à l'automne. Il ne voit plus que sa cible, ignorant les soldats, guerriers et gardes qui tentent de le ralentir dans sa progression. Son but : cet homme à la peau bleue qui regarde hautainement la bataille, avec son armure dorée, son diadème étincelant et son glaive au côté, bien assis sur un destrier noir.

Puisant dans toutes ses réserves d'adresse, de force et de vitesse, Galenn s'élance vers lui. Il élimine d'un moulinet nonchalant les deux gardes rapprochés du chef et, en prenant appui sur le destrier de celui-ci, il se retrouve assis derrière lui. Le geste du mercenaire a été si rapide que son poignard entame la gorge de l'homme avant même que ce dernier ait le temps de dégainer sa magnifique dague qu'il porte au côté.

Galenn - Le chemin des PierresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant