Sous les cendres

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Le 6 février 2101 à 7 heures du matin, il faisait déjà chaud sur l'île de la Réunion, mon grand-père, le doyen de notre communauté, avait rendu l'âme un peu plus tôt. Il était le dernier à avoir connu notre île. Parfois il me racontait comment était le monde avant les grands cataclysmes. Il m'a dit comment étaient les champs de cannes qui s'étendaient à perte de vue. Il était nostalgique d'un temps où l'on pouvait se balader librement sur les rivages, d'un temps ou le soleil attirait des foules et où tout le monde vivait bien, malgré l'ignorance de tous. Je ne sais pas ce qu'est le soleil... encore moins ce qu'est un rivage, mais dans sa bouche ça semblait si beau...

Moi je ne connais que le béton, mon ciel et mon sol ne sont faits que de ça... Et je connais la chaleur celle qui brule le corps, qui vous abat, vous empêche de faire quoi que ce soit. Cette chaleur-là, le béton n'arrive même pas à l'arrêter. Mes parents sont arrivés ici au début des grands cataclysmes. Sorte d'évènements météorologiques semi naturels. Disons plus simplement que l'eau s'est mise à monter dangereusement, la pluie (des gouttes d'eau qui tombe du ciel... je me demande parfois si c'est vrai) est devenue acide, ce qui a tué toutes plantes. Les cyclones et les tempêtes ont tout détruit sur leur passage, les maisons, les immeubles, les arbres, il ne restait plus rien après eux. Alors l'humanité s'est enterrée.

Parfois avec mes amis on en parle, le monde de dehors ça fait longtemps que personne n'y est allé. Alex, mon meilleur ami, dit toujours que lui il ira, il dit qu'il veut vérifier si tout est vraiment mort là-haut. Il est fou à mon avis.

Les jours se succèdent et se ressemblent. La chaleur est écrasante en ce moment ; personne n'en parle mais tout le monde sait qu'il se passe quelque chose dehors, quelque chose qui veut nous faire cuire. Le temps est long maintenant qu'il n'y a plus grand père. Il était vieux et je ne comprenais pas toujours ce qu'il disait mais quand je l'écoutais j'avais l'impression de sortir un peu de cet endroit, de ces murs qui se ressemblent, de ce ciel noir béton. J'étais donc obligé de m'adonner à mon autre activité favorite, écouter aux portes... Je sais plein de choses grâce à ça. Et j'avais appris quelque chose. Une chose importante...

Il était tard quand j'ai entendu mes parents en discuter, ils parlaient doucement mais j'avais de bonnes oreilles. Le soir même, j'ai couru chez Alex pour lui dire. Il dormait mais il a su se préparer vite, il faut dire qu'il attendait ça depuis longtemps.

Il fallait être discret, normalement la grande porte était surveillée. Mais Philippes, le gardien, est plutôt... disons... bon vivant, grand amateur de rhum arrangé. Il était rond la moitié de la nuit et il cuvait l'autre moitié. On priait pour tomber dans la première partie de la nuit. Alex s'était tellement préparé pour cette expédition qu'il connaissait le code de la porte. Par chance Philippes n'était pas là quand on est arrivé, Alex a couru pour taper le code. La porte s'est ouverte dans un grand bruit de pressions et Alex s'est engouffré dans le noir en me criant de le suivre. J'étais sur le pas de la porte quand j'ai entendu des gens courir, et hurler pour nous rattraper.

Je crois que je n'ai jamais couru si vite et si longtemps de toute ma vie, j'ai même réussi à rattraper Alex. On courait déjà depuis plus d'un quart d'heure quand on s'est arrêté pour boire un peu et prendre le temps de respirer. Il y avait un silence ici qui glaçait le sang, et la chaleur était étouffante. On ne voyait rien, on évoluait dans un tunnel plutôt large, de quoi être deux de front. Parfois on trébuchait sur des choses aux sol, pas des rochers, ça semblait être des objets. Ils n'étaient pas si lourds, mais ont pourtant manqué de me faire tomber plusieurs fois. A cause du noir et de ces choses au sol notre ascension était silencieuse. Alex qui, d'habitude, est grand bavard ne disait mots.

Quelle horreur ! J'avais trébuché sur une sorte de lampe qui en roulant s'était allumée ! Je fus abasourdi de voir que ce sur quoi nous ne cessons de tomber était des os ! Il y avait de ci de la des restes humains, des affaires, des jouets d'enfants même ! Papi m'avait dit que lorsque les hommes avaient fuit dans les souterrains certains n'avaient pas eu le temps de renter. D'autres, tombés malades à cause des épidémies propagées par les moustiques, n'avaient tout simplement pas eu le droit de s'abriter. Alors ils avaient fini là, dans ce couloir, à maudire ceux qui n'avaient pas su les accueillir. Ils sont morts ici sans lumière, sans nourriture. On a décidé de faire une petite prière avant de repartir. On pouvait arrêter de courir, personne ne nous suivrait plus à présent. On en a pas mal parlé avec Alex. Comment avaient-ils pu faire ça ? Il y avait des enfants parmi ces hommes ! Alex, lui, prétend qu'on ne sait pas comment nous aurions réagi confrontés aux grands cataclysmes. Mais moi je sais que je n'aurais pas pu si bien vivre que mon grand-père avec ça sur la conscience.

Sous les cendresWhere stories live. Discover now