Chapitre 9

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Edith pensait beaucoup à Marc, se rendit-elle compte. Alors qu'il ne lui avait que très peu manqué, toutes ces années. Alors que c'était actuellement l'absence de Philip qui la faisait le plus cruellement souffrir. Mais c'était à Marc que ses songes volaient, pourquoi ? En y réfléchissant un moment, elle comprit sans difficulté. L'artiste aux bérets et au carnet perdu était un spectre, tout droit sorti de la période la plus aventureuse, la plus périlleuse de sa vie. Inconsciemment, il lui paraissait logique que le danger présent provienne de ces temps-là, ces temps de délicieuse incertitude et de déséquilibre charmant.

Mais les bras de Philip lui manquaient terriblement, la sécurité de son foyer. L'ombre de l'inquiétude l'avait abandonnée, pendant si longtemps. Cet homme avait le don extraordinaire de la faire s'évanouir, retourner au néant dans lequel elle cherchait à les plonger tous.

Le petit sourire qui la faisait fondre, celui qu'il lui avait adressé lorsqu'elle était entrée dans la salle de réunion de son pas conquérant, pour se figer un instant en reconnaissant son voisin d'avion. Il s'était lui aussi immobilisé, yeux en fentes interloquées avant de revêtir l'étincelle de malice qu'elle lui avait deviné lors de leur première rencontre. Le temps avait passé, mais, visiblement, il se souvenait d'elle.

-Do you speak english ? demanda-t-il dans l'avion, après seulement quelques mots échangés.

Amusée, elle acquiesça, faisant tout de même remarquer qu'elle l'avait jusqu'à présent entendu parler un français remarquable ; elle se garda bien d'admettre que la délicate touche d'accent qui enrobait les paroles de l'inconnu était des plus charmantes.

-Yes, but this is a French plane. They're all speaking French. If we speak English, fewer people will understand us.

-Are we going to say confidential things?

Il lui adressa un clin d'œil qui, l'espace d'un moment, lui donna un air démoniaque. Etrangement, Edith ne l'en trouva que plus attrayant.

-Back to languages, aren't we? lui dit-il en lui serrant la main.

Si quelqu'un remarqua leur échange à voix basse, ils se dispensèrent de tout commentaire.

La poignée de sa valise lui glissait entre les doigts. La paume qui l'enfermait depuis plus d'une heure était moite. Elle l'essuya rapidement sur son jean, et sonna, avant que son cœur au bord de la nausée ne la persuade de courir dans la direction opposée. Puis, elle attendit. Longtemps. Mais, figée comme une statue mal coiffée, accablée par le décalage horaire et le manque chronique de sommeil, elle attendit. Edith se souvenait de la lenteur de l'habitante de la maison ; même quand elle n'avait pas vidé une bouteille de vin bon marché la veille au soir, elle se mouvait comme un fantôme perdu dans les couloirs. Chaque année, elle était un peu plus dégingandée, un peu moins vive. Et un peu plus déplaisante. Edith ne l'avait pas vue depuis plusieurs années. Certainement, elle ne découvrirait aucune amélioration.

La porte, qui montrait un vif besoin de peinture fraiche, s'ouvrit. Elle grinçait. Le bois gonflait en hiver, elle se bloquait parfois, et s'abimait de plus en plus sans personne pour l'entretenir.

La mère d'Edith était habillée d'un peignoir large au-dessus de vêtements relâchés. La veille, elle avait dû oublier de se démaquiller, et des traces noirâtres entouraient ses yeux embrumés. Ils se concentrèrent rapidement, cependant, dès qu'elle reconnut celle qui la visitait. Edith la vit hésiter, de longues secondes, entre rage et bonheur, entre rancœur et oubli. Des lèvres fines s'entrouvrirent, les mots ne voulant pas les franchir... Un instant, la jeune femme crut que l'être aimé et haï avec autant de force allait fondre en avant et l'enserrer dans ses bras de faucon. Mais, finalement, elle ne reçut qu'un :

Aucune raison de s'inquiéterWhere stories live. Discover now