2. Qu'en penses-tu, toi ?

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« -Mademoiselle Charlotte, que diriez-vous de sortir un peu ? »

Je cessai de m'amuser avec Louise pour lever les yeux vers Lison, qui était entrée dans ma chambre avec un sourire :

« - Sortir ?

- Oui, faire une petite promenade dans les jardins. Ce n'est pas bon pour vous de rester enfermée. »

Je soupirai en caressant la joue de Louise d'un doigt :

« - Je ne sais pas si...

- Faîtes-moi confiance mademoiselle Charlotte. Cela ne pourra être que bénéfique pour vous. »

Je savais au fond de moi qu'elle avait raison, je ne pouvais pas rester dans mon lit à contempler ma fille, je devais sortir, faire quelques pas, sentir l'air frais sur ma figure... Alors je finis par acquiescer avec un léger sourire :

« - D'accord Lison, allons dans les jardins.

- Très bien, je vais m'occuper de couvrir votre fille. Je vais vous chercher un manteau. »

Elle sortit rapidement de ma chambre avant de revenir avec une longue veste doublée de fourrure. Je fronçai les sourcils quand elle déposa l'habit sur le bord du lit, cette veste m'était inconnue :

« - Lison, depuis quand avons-nous ce vêtement ?

- Il appartenait à votre mère mademoiselle Charlotte, elle l'appréciait beaucoup. J'ai réussi à le dissimuler à votre père. »

A ma mère... Je laissai Lison prendre ma fille dans ses bras et elle m'adressa un sourire rassurant :

« - Je m'occuper d'elle, habillez-vous et rejoignez-moi en bas des escaliers. Si vous avez besoin d'aide pour descendre les marches, appelez-moi.

- Bien Lison. »

Elle sortit encore une fois de la chambre, pour préparer Louise à sortir. Restée seule, je m'assis lentement sur le lit. Je me sentais encore un peu faible, mais tout était affaire de volonté. Je pouvais y arriver. Alors je repoussai les draps pour m'asseoir, les jambes pendantes hors de la couche. Je m'avançai légèrement pour que mes pieds touchent par terre et le contact avec le sol m'arracha un léger frisson. Déterminée, je repoussai mes cheveux en arrière avant de me lever. Je chancelai un instant, ne m'étant pas mise debout depuis plusieurs semaines, mais je me rattrapai bien vite au mur en respirant profondément. La première étape était effectuée, maintenant je devais me préparer.

Je marchai lentement et prudemment jusqu'à ma coiffeuse avant de m'y asseoir. Là, j'entrepris de natter mon épaisse chevelure afin qu'elle ne me gêne pas pendant ma promenade, et je fixai en arrière les quelques mèches volantes avec des pinces. Puis je me relevai pour mettre le manteau fourré de ma mère. La fourrure était douce et tenait agréablement chaud, et le tissu bleu clair de la veste me rappelait les yeux bleus de m génitrice, dont le tableau avait longtemps trôné au-dessus de la cheminée dans le grand salon. J'enfilai ensuite mes mules avant de sortir de ma chambre.

C'était étrange de quitter mon lit, j'avais l'impression de redécouvrir le monde. Prudemment, je m'accrochai d'une main à la rampe des escaliers tout en les descendant, marche par marche. Ma faiblesse se dissipait peu à peu, j'avais juste besoin de m'habituer à bouger de nouveau. Après un temps qui me parut infini, je parvins enfin en bas des escaliers. Comme promis, Lison m'attendait là, Louise dans ses bras. Je m'empressai de reprendre ma fille, chaudement emmitouflée dans des couvertures prévues à cette effet. Ma gouvernante vérifia que ma longue veste était bien mise avant de me prendre par le bras pour me soutenir :

« - Venez mademoiselle Charlotte, il est temps de prendre l'air. »

Je la suivis docilement, Louise gazouillant faiblement dans mes bras. Ses petits yeux se fermèrent quand nous franchîmes la porte de mon château, et elle geignit en se blottissant plus contre moi. Un sourire étira mes lèvres et je me penchai pour embrasser son front alors que nous avancions dans les jardins. Le soleil voilé de quelques nuages éclairait faiblement les parterres de fleurs entourés de bois d'où j'entendais chanter les oiseaux, et un léger vent soufflait par instant. Le sable coloré en ocre crissait sous nos pieds à chaque pas que nous faisions et je devais bien avouer que cette sensation m'avait manqué. Je tournai la tête vers Lison avec un grand sourire ravi :

« - Merci Lison, tu as eu une bonne idée.

- Je m'en doutais mademoiselle Charlotte. Vous avez toujours aimé prendre l'air. »

Elle me connaissait mieux que quiconque, excepté Geoffroy. Mais il était vrai que j'avais toujours apprécié les longues promenades dans les jardins qui bordaient le château, et plus tard dans les bosquets qui entouraient Versailles. Je caressai le petit nez de Louise en souriant avant de soupirer. Faisais-je bien de quitter mes terres pour retourner à Versailles, auprès de Louis ? J'eus un regard discret pour Lison, qui marchait en regardant droit devant elle, et je finis par demander :

« - Dis-moi Lison... Qu'en penses-tu, toi ?

- De quoi donc ?

- De... Louis, sa proposition, retourner à la Cour... »

Elle eut un soupir presque inaudible sans cesser sa marche :

« - Je ne peux vous empêcher d'y retourner mademoiselle Charlotte. C'est votre vie, pas la mienne. Mais je veux seulement être certaine que vous êtes sûr de votre décision. Que vous décidiez d'y aller ou non, vous ne devez pas le regretter.

- Quel est le mieux pour toi ? D'y aller ou de rester ici ? »

Lison s'arrêta de marcher et je fis aussitôt de même. Elle se tourna vers moi avec un visage presque amusé :

« - Mademoiselle Charlotte... C'est à vous de décider. Je ne dois en aucun cas influencer votre décision. Que vous décidiez de rejoindre le roi à la Cour ou de rester là pour élever votre fille... Je vous soutiendrai.

- Mais plus le temps passe et plus je doute... Quand j'étais avec Louis, je... Je le voulais vraiment, mais... J'ai tellement peur de retourner à la Cour, de voir toutes ces personnes hypocrites, de... De revoir ma sœur... »

J'en avais presque oublié Athénaïs, celle qui était la cause de tous mes ennuis. Je serrai un peu plus Louise, qui s'était endormie, contre moi. Si jamais ma sœur posait un seul doigt sur ma fille, je le lui ferais regretter. Lison caressa doucement mon bras en parlant d'une voix rassurante :

« - Vous êtes assez forte pour affronter cela mademoiselle Charlotte. Et vous ne serez pas seule, votre frère sera avec vous, et le roi aussi je l'espère.

- Donc tu penses que je devrais accepter la proposition de Louis ? »

Elle eut un tendre sourire pour moi :

« - S'il ne tenait qu'à moi, je vous protègerais comme ma fille et je vous garderais près de moi, mais je n'en ai ni le droit, ni le pouvoir. Et comme je vous l'ai dit, je ne veux pas influer sur votre décision.

- Lison... »

Je baissai les yeux sur Louise, qui dormait paisiblement au creux de mes bras. Puisque Lison ne voulait rien me dire, il me fallait attendre d'en parler avec Geoffroy. Revenir à la Cour me permettrait de le voir aussi régulièrement qu'avant, je pourrais même revoir Gabriel, dont j'appréciais énormément la compagnie. Et je verrais Louis. Je soupirai en marchant de nouveau, levant les yeux pour admirer les jardins. J'espérais que mon frère puisse m'éclairer, me donner des conseils, et m'aider à enfin arrêter ma décision. Mais s'il me disait qu'il était hors de question que je retourne auprès de Louis, qu'allais-je faire ? Je soupirai de nouveau avant de secouer la tête. Je devais arrêter de me préoccuper, j'aviserais en temps voulu.

Deux sœurs pour un roi (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant