Pour le reste de la ballade, les soupirs et les grommellements furent les seuls accrocs au silence de leurs pas dans le cœur de la nuit. Même si chacun tournait ses idées dans sa bulle, qui dans le désarroi, qui dans la stupeur, la seule perspective d’être pris dans une trame du temps et de ne plus jamais revenir chez « soi » suffisait pour les unir et plus que jamais, leur donner une raison de chercher le moyen d’inverser ce mauvais sort.
Trou-de-Pique, qui avait pourtant accumulé deux fois plus de connaissances que la somme de celles de ses deux compères, était de loin le plus troublé. C’était en effet, une des équations les plus complexes qu’il n’eut jamais eu à tenter de résoudre. Il se maudissait de ne pas avoir pris le temps d’apprendre correctement ces formules d’algèbre, de trigonométrie et d’autres fantaisies qui, à une autre époque lui semblaient de la poutine pour les chats. Skin avait raison : rien ne pouvait les guider dans cette quête, celle de retrouver le bon fil pour renverser la machine. Qui plus est, il ne saurait garantir qu’il pourrait y avoir une issue. Qu’est-ce qui leur garantissait que cette trame était à nouveau franchissable, ou que, même s’il trouvait une autre porte, celle-ci les amènerait à leur temps présent? Et, sacré nom d’une pipe, qu’est-ce que le présent? Existe-il vraiment? Il lui semblait que les questions s’empilaient dans sa tête et que cet amas de points d’interrogation allait s’écrouler d’une minute à l’autre, le laissant sans aucune trace de réponse pour rassurer ses amis. Il se doutait maintenant qu’ils allaient se fier à lui pour les tirer de ce pétrin. D’une certaine façon, en son for intérieur, il savait qu’ils allaient, à eux trois, formuler assez d’hypothèses saugrenues et insensées qu’il pourrait s’y trouver une ou deux avenues à explorer. Skin, avec ses préjugés, ses habitudes violentes, pourrait soulever du granit pour récupérer un peu de dignité (ou quelque chose qui lui ressemblerait et dont il n’existe probablement pas de mot, dans le langage des adolescents). Magané, entouré de peurs et de craintes injustifiées allait les aider à voir les dangers se poindre à l’horizon. Quant à Skin, il est certain que son esprit cartésien allait lui servir de phare et de centre de tri bien qu’il se doutât de l’enthousiasme général de ses suggestions. Déjà qu’ils se dirigeaient maintenant vers la cabane alors qu’il avait suggéré le contraire quelques instants plus tôt.
Il est vrai que l’apparition du père de Magané changeait la donne. Il fallait se trouver un coin plus sûr et comme la cabane était un point de repère familier, il était normal, après une brève réflexion, de s’y retrouver. Après tout, Skin avait peut-être raison. La maison du notaire pouvait à tout le moins prouver sa théorie. Au mieux, en se permettant de rêver un peu, l’armoire les ramènerait au point A laissant le B loin derrière eux.
Ils arrivèrent enfin devant la cabane. Il n’y avait pas lumière dans la fenêtre. Les grillons se turent à leur arrivée comme pour faire place à un silence qui, bientôt, leur servit. En effet, alors que Skin s’apprêtait à se hisser sur la pointe des pieds, on entendit tousser. Une violente quinte de toux maligne. Trou-de-Pique leur fit signe de ne pas parler, d’attendre un peu. La fenêtre était entrouverte. Après quelques râles, l’homme sembla s’être rendormi. Skin se souleva du bout des orteils pour mettre le nez dans l’ouverture lorsque que retentit un cri :
« François! Mon bon François. Les filles! Les Filles du Roi sont arrivées ! »
Skin retomba sur ses pieds et recula si rapidement qu’il perdit l’équilibre, tomba sur les branches d’arbuste asséchées. Magané et Trou-de-Pique se précipitèrent sur lui pour l’aider à se relever et l’intimer avec de grands gestes de ne pas faire d’autre bruit. La cabane était de nouveau silencieuse. Une légère brise souleva le rideau de fortune. Puis, le pan de tissu retomba et sortit un peu vers l’extérieur. Aucune moustiquaire. C’est alors que tous les trois virent une énorme main se poser sur le rebord de la fenêtre :
VOUS LISEZ
L'armoire du passé
Teen FictionTrois adolescents entrent par effraction dans une demeure à l'abandon. L'arrivée imprévue d'un visiteur les poussent à se réfugier dans le grenier où une grande armoire leur sert de cachette. Une surprise de taille les attend lorsqu'ils en ressorten...