Chapitre 3 - Le monde du dehors

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Des phares qui balayaient la rue coupèrent court leur conversation. Tournant le coin de la rue, une Buick Opera bleu foncé passa devant eux à trente kilomètres à l’heure.

Trou-de-Pique identifia la voiture immédiatement :

« Une voiture de collection, en parfaite condition. Je me demande qui dans la ville peut bien avoir les moyens de se payer une telle bagnole. »

« On dirait la vieille auto du curé... » fit Magané en chassant les brindilles d’herbes de son jeans troué.

« Ouais » acquiesça Skin, « sauf que le vieux char du crucifié est en ruine derrière la grange des Baboeuf, tête de nœud. »

« Il a raison, Skin... » commenta Trou-de-Pique en se grattant l’oreille droite.

« Raison? Comment ça raison? Tu veux bien m’expliquer un peu, parce que là, je ne te suis plus, Troud. »

« C’est le curé qui vient de passer. »

« Le curé? Dans sa vieille bagnole? Tu veux dire que toute cette niaiserie à propos de... »

« Quelle niaiserie? » demanda Magané. « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut m’expliquer ce qui se passe? »

« Ce qui se passe? Tu veux vraiment le savoir? » soupira Skin en entraînant Magané avec lui, marchant d’un pas rapide. « Notre bon Trou-de-Pique pense qu’on est retourné dans le temps. Il dit qu’on est en 1940... »

« 1943! » ajouta Trou-de-Pique qui les suivait de près.

« Ben voyons, les gars. Ça ne se peut pas des affaires de même. Comment est-ce qu’on peut se retrouver en 1900-quelque chose. On a rien fait. »

Magané semblait tout de même légèrement troublé par cette nouvelle pour le moins ahurissante. Tout se bousculait dans sa tête. Avec tous les films qu’il avait vus et les cours de physique qui racontaient des tas de choses incompréhensibles mais qui disaient surtout que les voyages dans le temps étaient impossibles, il ne voyait pas en quoi leur vie pour le moins ennuyante et très peu enrichissante pouvait mener un tant soit peu à un voyage dans le temps.

« C’est bien ce que je me dis, Magané. Troud est convaincu du contraire. Mais tout ça c’est des idées d’intellectuels comme Troud est le seul capable d’imaginer, hein, Troud? »

Il ne répondit pas tout de suite. Ils marchaient en direction de la rue Principale où se dressaient des édifices qu’ils connaissaient : l’église, le centre commercial, le club vidéo, la boutique de cellulaire. De nombreux commerces qu’ils avaient fréquentés plus ou moins en toute légalité.

Les feux de circulation ne semblaient pas fonctionner au coin des rues. Ce n’était pas anormal : ils ne fonctionnaient pas une fois sur deux. Le vieux moulin Sariet se trouvait là, massif mais vide, comme toujours. L’affiche du restaurant Barney’s n’était pas là. À sa place, un panneau en bois sur lequel on voyait un visage souriant aux joues rubicondes qui tenait une bouteille de Coke. En lettres stylisées à l’ancienne : Ice Cold Coca-Cola . Mais personne ne commenta. Ils avaient décidé de ne plus parler, de ne plus argumenter. D’un commun accord silencieux, ils savaient qu’ils devaient se diriger vers la cabane, un vieux relais de chasseur situé à environ un kilomètre de la sortie de la ville. Là, ils pourraient retrouver leurs esprits, histoire d’y voir plus clair. Il était tard et chacun ayant vécu son lot d’énervement se retrouvait fatigué, donc incapable de penser logiquement. Ce ne pouvait être que des coïncidences, pensait Skin. Comment pourrions-nous passer d’une époque à l’autre sans une machine? songeait Trou-de-Pique. J’ai faim, j’ai froid et je veux m’en aller chez moi, disait Magané de ses lèvres silencieuses.

L'armoire du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant